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Chroniques
Claude Debussy – Maurice Ravel
Quatuor en sol mineur – Quatuor en fa majeur
Il y a trente ans (trente ans…) les micros de Georges Kisselhoff captaient le quatuor Talich interprétant en public les quatuors de Ravel et Debussy à l'Abbaye d'Ourscamps. Dans sa formation d'alors, le quatuor tchèque avait marqué les esprits en refusant de confondre impressionnisme et approximation, préférant des contrastes inédits et une franchise d'intonation faisant des compositeurs français de lointains cousins de Bartók et Janáček. Cette nouvelle interprétation semble se complaire à gommer encore davantage les différences entre ces deux piliers du répertoire chambriste français. Les allusions bigarrées y convoquent tantôt la musique folklorique tzigane, tantôt le vieux style fauréen ou franckiste.
Une introduction pas très incisive, animée mais pas très décidée, et les couleurs volatiles semblent insuffisamment fixées par la matière de l'archet. Toute question technique mise à part, on ne retrouve pas les touffeurs prolixes de la première gravure – et ce, malgré les légères imperfections du direct. La réalisation est superbe, le moiré impeccable des arrière-fonds mieux équilibré et d'une sorte de liquidité mobile remarquable.
L'Assez vif et bien rythmé présente une déclinaison sous toutes les coutures de l'art du pizzicato, alternant avec des passages legato un rien désincarnés. Dans l'Andantino, les quatre musiciens parviennent à cet impossible doucement expressif indiqué par Debussy. Le style est épuré mais ne remet en question ni l'expressivité, ni le « fondu » des instruments – un nocturne à la française, sans rien d'appuyé et de déclamatoire dans les interventions. Le final joue la carte d'une polyphonie prismatique, sans rien d'anguleux dans les changements de thèmes.
L'élévation infinie des premières mesures du Ravel sonnent ici sans les préciosités d'usage, même si la suite du discours amoureux a tendance à s'égaliser dans un beau son peut-être trop « romantisant ». Le Scherzo ne fait pas toujours entendre l'ambigüité des mesures à 3|4 et 6|4 autour desquelles s'organise cette étrange chorégraphie de lucioles. L'épisode central redonne un sens mélancolique à cette musique de l'intime : les archets des Talich y excellent.
Le Très lent est davantage articulé autour de la variation d'intensité lumineuse des différents motifs que sur l'étonnante et très improvisée manière de jouer sur l'élément rythmique, à la différence de l'enregistrement de leurs aînés en 1984 – d'une certaine manière plus « français » dans ce mouvement. La pétulante conclusion (Vif et agité) sait garder les pieds sur terre, malgré l'invitation au démonstratif et à l'épate. La précision quasi géométrique des figures giratoires fend l'armure avec une ivresse communicative.
Pour ne rien gâcher au plaisir de l'écoute, précisons que le label La Dolce Volta renoue avec la tradition trop rare du bel objet avec un livret fort bien illustré et remarquablement écrit.
DV