Chroniques

par david verdier

Claude Debussy
Prélude à l'après-midi d'un faune – La mer – Images

1 CD Zig-Zag Territoires (2012)
ZZT 313
Claude Debussy | œuvres pour orchestre

La couverture l'annonce fièrement : nous écoutons la musique de « Claude Achille Debussy ». Pas de doute, on aura compris que le scrupuleux détail de l'état-civil cache la probité méticuleuse d'une prise de son et d'une interprétation forcément « à l'ancienne ». On peut néanmoins se poser la question de savoir jusqu'où va se nicher l'exégèse et où commence l'invention, en découvrant ces deux harpes sur le devant de la scène acoustique et captées à la loupe, ou encore le détail infinitésimal des percussions audibles au même degré que la petite harmonie…

De tous les Faunes entendus récemment – Gatti, en particulier, vient d’enregistrer un programme identique [lire notre critique du CD] –, celui de Jos van Immerseel bat les records de lenteur. De ce ralenti généralisé émergent des émolliences suspendues dans le vide par la largeur du tempo. Les timbres qui se distinguent derrière cette fumerie d'opium sont pourtant somptueux, mais on regrette l'ivresse complaisante du chef à s'y plaire tel Narcisse dans le miroir des eaux. Le résultat est sans appel : le faune s'empoisonne lentement, comme ces ruminantes que décrit Apollinaire dans leur champ de colchiques.

Les musiciens d'Anima Eterna Brugge offrent à La mer un capiteux écrin, plein de reflets et de timbres. Dans le trouble, on abandonne à l'extase la cohésion et la circulation organique du discours. Les réponses d'un pupitre à l'autre semblent parfois manquer cruellement de naturel, même si l'on admire la facture de l'édifice sonore. Le ruissellement de timbres dans De l'aube à midi sur la mer paraît tout droit tiré d'un tableau de Turner, tandis qu’on discerne parmi les scintillements de Jeux de vagues des intonations jazzy. Il y a, chez Immerseel, un alanguissement totalement assumé et un plaisir très esthète à faire résonner la réverbération naturelle de l'orchestre, en particulier les glissandos des deux harpes. Dialogue de la mer et du vent est magnifique de poids et d'autorité. On admire l'entrée du filet d'aigus crissés sur fond de harpe dans la conclusion ; c'est tout simplement magnifique… mais « poseur » et d'une noblesse qu'on dirait parfois prétentieuse. Debussy n'en demande pas tant.

Les Images sont heureusement présentées dans leur disposition d'origine, fidèle à la création par André Caplet en 1912. Rondes de printemps renoue avec la manière du faune à toujours faire entendre quasi séparément les détails instrumentaux et à les faire sonner comme une ménagerie étrange aux teintes bigarrées. On observe simplement ces comptines enfantines qui passent au loin, sans malice…

Si Gigues bénéficie d'un traitement mieux équilibré, Iberia pèche par les mêmes défauts évoqués précédemment. Il ne manque pas un clapotis de castagnette et l'analytique fait barrage à toute idée de danse. Précise, la ligne manque cruellement de pleins et de déliés. Les parfums de la nuit fait du sur-place, tandis que l'émotion fait antichambre. Le fondu enchaîné vers le Matin d'un jour de fête est marqué par la prise ténue du moindre tambourin et le refus de hiérarchiser selon l'acoustique réelle en contraignant à tout donner au premier plan. Le mouvement intérieur de la musique y laisse de sa vitalité organique. Pour un peu, on verrait bien Petrouchka s'inviter dans cette Espagne imaginaire…

DV