Chroniques

par pierre-jean tribot

Claude Debussy
Pelléas et Mélisande

2 DVD TDK (2006)
DVWW-OPPEM
Pelléas et Mélisande, opéra de Debussy

L'Opéra de Zurich, dirigé par Alexander Pereira, est certainement (avec le Liceu de Barcelone) le théâtre lyrique le plus présent sur le support DVD. Bénéficiant d'une politique audio-visuelle dynamique, de distributions de très haut niveau, de mises en scène innovantes et de grands chefs d'orchestre, cette institution s'assure une place de choix dans un monde de l'édition vidéographique d'opéras encore guidé par de trop nombreuses et stupéfiantes incohérences.

La scénographie de décors de galaxie polaire de Rolf Glittenberg et les costumes frigorifiant de Marianne Glittenberg dérangent mais fascinent rapidement. Dans cet univers décharné, le metteur en scène allemand Sven-Eric Bechtolf conçoit ses personnages à travers des doubles. Les protagonistes sont symbolisés par des marionnettes immobiles et les héros humains ne sont que des projections de leur subconscient. Étrange contraste entre les sentiments débordants et expressifs des personnages et la froideur névrotique des corps des doubles, incapables de bouger et de s'exprimer. Les figures humaines et les marionnettes se mélangeant, les uns s'adressent et jouent avec les autres. De ce chaos humain, le scénographe fait jaillir l'exacerbation des passions et des fantasmes : la scène où Pelléas part au soir de l'Acte IV prend une tournure terrifiante quand Golaud violente la marionnette de Mélisande. Ce travail est à l'image de la Lulu montée précédemment par le même scénographe, perturbant à l'extrême mais absolument hors du commun, dès que l'on accepte de rentrer dans ce spectacle unique.

La distribution réunie est de très haut vol, et l'on ne s'attendait pas à un tel miracle de la part de chanteurs non francophones. Michael Volle s'affirme comme l'un des artistes les plus charismatiques du moment et il incarne ici un saisissant Golaud ; le timbre est superbe d'éclat et de profondeur, tandis que l'engagement théâtral est absolument parfait. Inattendu en Pelléas, Rodney Gilfry ne mérite que des éloges ; le timbre est d'une limpidité miraculeuse, la conduite du chant absolument souveraine alors que la prononciation est parfaite, même dans les articulations les plus nuancées. Isabel Rey ne nous avait jamais convaincu lors de ses apparitions : elle apparaît ici transfigurée ; fragile, incroyablement touchante, elle campe une Mélisande parfaite, même si elle apparaît légèrement en dessous de ses confrères masculins. Membres de la troupe de l'Opéra de Zurich, les excellents Lászlo Polgár (Arkel) et Cornelia Kallisch (Geneviève) sont au diapason de leurs collègues, tout comme le petit Yniold d'Eva Liebeau et le médecin de Guido Götzen.

Franz Welser-Möst, le directeur musical de l'Opéra de Zurich témoigne d'une grande compréhension de l'œuvre de Debussy. Sous sa conduite, fine et précise, l'Orchestre de l'Opéra de Zurich est riche en timbres, en couleurs et en transparences. Réunissant une distribution non francophone, un chef d'orchestre autrichien et un metteur en scène allemand, ce spectacle peut être qualifié de miracle absolu. Cette production hors du temps s'impose comme l'un des plus grandes références lyriques disponibles sur DVD.

PJT