Recherche
Chroniques
Claude Debussy
Pelléas et Mélisande
Le 30 avril 1902, Claude Debussy présente au public de l’Opéra Comique Pelléas et Mélisande, drame lyrique inspiré par la pièce homonyme de Maurice Maeterlinck (1892), œuvre-phare du théâtre symboliste. Si le Français ouvre la voie à ses compatriotes, Paul Dukas (Ariane et Barbe-Bleue, 1907) et Lili Boulanger (La princesse Maleine, malheureusement inachevé à la mort de la musicienne, en 1918), on sait que sa proposition d’une musique en demi-teinte, qui soutient une parole impuissante à exprimer, ne fit pas alors l’unanimité. « On a ri quand Mélisande dit : “Je ne suis pas heureuse”, après la scène où Golaud la traîne par les cheveux », écrit Henri Büsser qui remplace André Messager en fosse, au bout de quelques représentations. Mais pour d’aucuns, l’accent anglais de Mary Garden y est aussi pour quelque chose…
Ces cheveux agrippés qui mettent à genoux Mélisande, ceux-là même qui, la nuit d’avant, guidaient d’un corps à l’autre les baisers de Pelléas, sont le symbole sexuel typique de l’époque, qui devient symbole psychique lorsque le discours est en échec. Il faut entendre la psychanalyste Julia Kristeva commenter : « les oppositions qui fissurent Allemonde et l’univers mélancolique, par le biais de la chevelure s’amalgament en une matière subtile qui se tient à la limite de la matérialité ; et permet de faire sentir ce dont rêvent et le mélancolique et l’habitant d’une fin de siècle en crise : s’arracher aux identités, habiter les carrefours, se loger à la frontière du corps et de l’esprit, du sacré et du profane » (in Lectures d’opéra, Christian Bourgois, 2006) [lire notre critique de l’ouvrage].
Les amoureux au cœur de ce disque enregistré à l’Auditorium de l’Opéra de Bordeaux en novembre 2020 sont Stanislas de Barbeyrac et Chiara Skerath, dont les rendez-vous ébranlent l’âme. Clarté, ardeur et nuance dessinent un Pelléas d’une présence mémorable, aux côtés d’une Mélisande attachante et émouvante, étrangère aux minauderies d’usage. Gêneur du couple, Alexandre Duhamel (Golaud) surprend par un chant parfois pâteux et terne qu’on ne lui connaissait pas, doublé d’une prononciation assez précieuse. Cette déception est pourtant contrebalancée par des moments de grâce, tel le pardon à la femme alitée, délivré sur le fil. Jérôme Varnier (Arkel) est magnifique de diction, tandis que Janina Baechle (Geneviève) caresse l’oreille de son timbre soyeux. Maëlig Querré (Yniold) et Damien Pass (Berger, Médecin) complètent la distribution avec sobriété – attention ! une erreur d’impression mentionne Jean-Vincent Blot à la place de ce dernier.
L’équipe artistique réunit également le Chœur maison, préparé par Salvatore Caputo, et l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, guidé avec soin par Pierre Dumoussaud. Si l’on devait n’évoquer qu’une seule des qualités du chef habitué à une large palette de musique française (Hamlet, Fantasio, Les p’tites Michu, etc.), ce serait son génie de la dramaturgie, une façon d’habiter le silence qui tient en haleine et permet de redécouvrir un ouvrage centenaire. Portée par une sorte d’évidence, sa baguette leste et souple enflamme les musiciens pour une lecture sensuelle et chatoyante qui se révèle l’atout majeur de cette gravure.
LB