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Chroniques
Claude Debussy
La mer – Prélude à l'après-midi d'un faune – Images
C'est son arrivée à la tête de l'Orchestre National de France qui a offert à Daniele Gatti la possibilité de prendre la mesure d'une certaine approche in loco de la musique française. Moins intéressé par la continuation d'un héritage que par la signification de cette musique, il consacre à Debussy son premier enregistrement chez Sony, deuxième jalon discographique « officiel » avec l’ONF, après une magistrale Sixième Symphonie de Mahler (disponible uniquement en téléchargement chez Decca).
Ce Debussy séduit spontanément car il place au même niveau l'invention coloriste et la volonté de clarifier l'articulation. La matière sonore se dilue d'autant moins qu'elle fuit le dilettantisme comme élément déterminant d'un pseudo style français. De toutes les partitions présentes ici, c'est La mer qui offre la plus belle des démonstrations de l’architecture luxuriante à laquelle aspire la direction de Gatti. Rien de bassement décoratif ou qui chercherait d'une quelconque manière une imitation, une peinture sur le motif – ce contre quoi met en garde Debussy lui-même. Dans le dégagement des lignes à la manière des grandes arches qui organisent le discours, on trouve l’écho des amours contrariées de Debussy à l'égard de Wagner. Le résultat est, en quelque sorte, plus proche de l'océan d’Hugo que de la stylisation de la vague d'Hokusai ; pour autant, les détails qui saillissent çà et là dans Jeux de vagues rappellent les reflets interlopes de la musique d'Alban Berg, autre compositeur de prédilection du chef milanais. Dialogue du vent et de la mer est véhément à souhait, les impressions que produisent les masses sonores ont la largeur de tempo et l'énergie rythmique qui conviennent à ce mouvement. De l'apaisement au déchaînement furieux, la conclusion fait voler en éclats la perception du temps musical avec une caractérisation instrumentale qui n'a pas à rougir des prestigieux aînés (Karajan, Munch, Boulez et Martinon).
Le Prélude à l'après-midi d'un faune ne verse pas dans les atermoiements et les émolliences sucrées – et c'est tant mieux. On ne quitte pas pour autant les sphères de la sensualité, mais sans qu'elle soit excessivement soulignée par le vibrato de la flûte solo ou les fluctuations de tempo. Le sentiment supplante ainsi le danger d'un modèle poétique saisi dans son élément narratif.
Les Images confirment et complètent les leçons de séduction de La mer. L'écueil romantique des Gigues est contourné au bénéfice d'une très belle étude de ciel dans des tonalités gris-bleu effilées et savoureuses. « Gigues tristes », écrivait Debussy dans une première esquisse : nous y sommes. Véritable triptyque dans le triptyque, Iberia est plus proche du journal intime que de l'album ou du récit de voyage. Les références idiomatiques ne sont que le trompe-l'œil d'un projet plus vaste dans ses intentions. La direction de Gatti réduit la liberté rythmique au profit d'un dégagement plus net des énergies dialoguées entre les pupitres. On aimerait entendre dans Pelléas le miracle d'équilibre qu'il obtient de l'orchestre, notamment dans Les parfums de la nuit…
La prise de son de ces Images est plus directionnelle et trahit un changement d'acoustique, mais garde les qualités des deux pièces précédentes : beaucoup de relief, timbres bien définis et une réverbération idéale. Un disque très prometteur, que notre rédaction récompense d’une Anaclase !
DV