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Chroniques
Claude Debussy
œuvres pour piano (volume 1)
Après une gravure fort intéressante qui cependant n’avait pas tant convaincu, nous retrouvons la jeune pianiste brésilienne Juliana Steinbach dans le premier volume d’une intégrale Debussy qu’elle grave à Leipzig pour Genuin, toujours sur piano Blüthner. Du « coup d’envoi » de 2010, l’ouverture debussyste promettait déjà beaucoup [lire notre critique du CD]. Deux ans plus tard, le présent disque confirme magistralement l’aperçu.
Conçu dans la chronologie des pièces pianistiques du maître français, l’enregistrement en fait aborder l’univers en 1890, avec la Valse romantique livrée dans une inflexion infiniment tendre. On trouve à son articulation délicate une association inédite de discrétion et de prégnance, rehaussée d’une respiration toujours généreuse.
Ainsi, dès l’abord, le mot est-il dit : c’est un Debussy généreux que donne Juliana Steinbach. Savamment auréolé d’une douce bué, le dessin à peine rubato de la Rêverie fait merveille, suivi par les contrastes de l’exquise Mazurka (1891).
Trois cycles d’importance aux esthétiques variées font le cœur du programme : la Suite bergamasque (1890, toujours), Pour le piano écrit entre 1896 et 1901, enfin les deux cahiers d’Images (1905 et 1907). De la Suite le Prélude s’ouvre en une plénitude diaprée, bientôt sertie dans un ton plus « ancien » qui fait osciller la lecture entre une emphase romantique et un format presque « baroquisant » d’une fine clarté. Outre un chaloupé des plus gracieux, engagé au tempo idéal, le Menuet bénéficie d’une dynamique à l’évidence rare, comme sans effort, « naturelle ». Ces qualités découlent de la générosité évoquée plus haut : sensibilité, agrément et habileté s’y conjuguent sans « mise en vitrine », en une préciosité digne et sans manières. L’astre de Clair de lune est un choral opalescent dont la méditation jamais ne s’enivre outre mesure, préservant l’impact subtil de l’inspiration. Au contraire de ce sourire modeste, la sonorité très définie et une régularité presque ramiste confèrent au Passepied une certaine inquiétude.
La matière du premier épisodede Pour le piano découle sans détour du répertoire russe. Juliana Steinbach souligne cet aspect, mais encore la relative tourmente qui habite cette page. Avant une Toccata à l’impitoyable précision, sans qu’elle soit sèche pour autant, accordant bien au contraire grand relief au médium des trois mains, si l’on peut dire, dans la deuxième phrase, puis prodigue sensualité aux débordements en tutti de ce piano multiple (qui reste bien piano, jamais orchestre, cela dit), la Sarabande questionne l’écoute de manière confondante dont le digne énoncé, en ses modalités volontiers désuètes (et en cela novatrices), s’avère l’un des plus beaux moments du CD.
La certitude qu’un !A ornerait immanquablement cette galette est venue presque d’emblée, avouons-le, tant la personnalité de Juliana Steinbach s’y accomplit magistralement. Des Images, une large impédance grave cimente les Reflets dans l’eau d’une chatoyante suavité que, pour finir, noit un velours indicible. L’Hommage à Rameau dépose sa nudité ténue sur un doux ballot de soie, un rien mélancolique, peut-être, tandis que Mouvement, sans livrer ses secrets, vadrouille dans une infernale fluidité. Savantes en sont les demi-teintes grâce auxquelles Juliana Steinbach « déglace » supérieurement l’emphase du morceau. Une élégance feutrée porte loin Cloches à travers les feuilles, moire follette en miroitement de taffetas. Sans extase « grasseyante » (un travers trop souvent rencontré dans cette pièce), Et la lune descend sur le temple qui fut pose très pudiquement ses énigmes, dans une sorte de réserve à peine soulignée d’une envoilure maligne – un sommet, vraiment ! Lui succèdent les infimes contrastes à l’œuvre dans Poissons d’or où, seul fois dans ce disque, s’entend l’orchestre de Debussy, ses saveurs boisées, une recherche d’effets de timbres (basson, cor anglais mais encore violoncelle – et harpe, bien sûr !).
Ingénieusement ce récital Debussy se conclut dans l’opulence un rien salonnarde, bonhomme et charmante, de La plus que lente (1910), infiniment nuancée sans « gymnastique ». Un grand disque ! À suivre…
BB