Recherche
Chroniques
Claude Debussy
transcriptions pour violon et piano
C'est l'univers novateur et fascinant de Claude Debussy qui a incité le violoniste Jean-Claude Bouveresse à transcrire pour son instrument et pour piano nombre de mélodies, pièces pour piano solo ou à quatre mains. Cette musique est novatrice car débarrassée de la reprise, de la répétition, du superflu ; fascinante car tout y est mystère, entre spleen et féerie. Ces transcriptions ont cependant fait l'objet d'une réflexion, car elles ne s'appliquent qu'aux œuvres qui y gagnent quelque chose (une pièce sur quatre pour la Suite Bergamasque de 1890-1905, par exemple.) ou n'y perdent pas la richesse de certains accords.
On retrouve sur ce disque les pièces les plus connues de Debussy. Le programme comprend les pièces courtes que sont Romance (1884), La plus que lente (une valse dans le genre brasserie, 1910) et Le petit nègre (1910), un cake-walk qui, dans sa version originale, continue de faire les délices des apprentis pianistes. Les pièces longues, le plus souvent réunies en cycle, sont marquées par la rencontre de Debussy avec la poésie de Paul Verlaine – « Je n'aime plus que ça ! ... ». Le chromatisme exacerbé des Ariettes oubliées (présentées devant la Société Nationale de Musique le 2 février 1889) rencontre les réticences des académismes ambiants et César Franck n'aimera pas cette « musique sur pointes d'aiguilles ». Mais Debussy a déjà choisi son chemin esthétique, lui qui dira : « je ne pourrai jamais enfermer ma musique dans un monde trop correct... ». L'élément aquatique, si important chez le compositeur, invite à la rêverie, tout comme la nostalgie baigne l'autre recueil inspiré par le poète : les Fêtes galantes (1891).
La Petite suite (1888-89) et les deux Arabesques (1888-1891) sont des pièces plus conventionnelles, assez mondaines, entre l'art de Massenet et celui de Grieg. Elles sont liées à la période bohème d'un jeune homme qui rentre à Paris après un horrible séjour à la Villa Médicis. Debussy s'est assez précisément exprimé sur Rome pour qu'on évaluât son dégoût pour la ville éternelle, pour le fameux prix, et les obligations qui lui étaient associées. Au violon, les Arabesques restent un brin salonardes, comme il se doit.
Le premier livre des Préludes (1910) présente une grande diversité d'inspiration. On y retrouve des influences impressionnistes ou symbolistes, le music-hall, les ménestrels parodiques, etc. Il en ressort une certaine gêne à parler de soi sur le vieux tonromantique, tout en insistant sur le caractère intime de ces pièces. En cela, elles pourraient se rapprocher d'un aspect de la musique de Franz Liszt. Dans l'ensemble, on sera plutôt charmé par la séduction mélodique des transcriptions de ce disque, même si l'on perd un peu du mystère des originaux.
Les Épigraphes antiques (1914) empruntent leurs titres aux Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, rencontré plusieurs années plus tôt et dont le musicien était très proche. La version pour deux pianos qui nous est connue est en fait un arrangement d'une partition inédite de 1910 (deux flûtes, deux harpes et célesta), écrite pour accompagner la version scénique de certaines de ces Chansons. On doit d'ailleurs au tout jeune Pierre Boulez d'en avoir préparé la première audition au temps du Domaine Musical. La présente transcription pour violon et piano n'est qu'une des nombreuses variations qu'a connu cette œuvre (grand orchestre, orchestre à cordes, etc.). Jean-Claude Bouveresse en révèle tout le paganisme sensuel assez délicieusement.
Children's corner, enfin (1906-08) est un recueil de pièces dédiées à la petite fille du compositeur, surnommée Chouchou. On y évoque les personnages de l'enfance : la poupée, l'éléphant en peluche, le polichinelle. On y passe de la tendre berceuse à la frénésie jazzy. Avec l'instrumentarium ici présent, les deux pièces choisies (Sérénade de la poupée et Colliwogg's Cake-Walk) se colorent un peu plus encore d'une sorte de nostalgie, d'un bonheur parfumé de grenier à trésors, magiquement préservé des aléas du monde.
En résumé, ce sont surtout les mélodies qui s'avèrent les plus violonistiques dans ce programme, on s'en doute, et Jean-Claude Bouveresse, qui joue un Franscesco Rugger de 1673 (École de Crémone) les chante magnifiquement. Les Romance, Clair de Lune, ainsi que le Clair de Lune de la Suite Bergamasque, nous ont tout simplement séduits. La prestation du pianiste roumain Théodore Paraskivesco est non seulement tout à fait convaincante, mais d'une fiabilité exemplaire à la partition, tant à l'esprit qu'à la lettre. Rappelons que cet artiste est un habitué du répertoire français et qu'il a gravé, il y a quelques années, une belle version de l'intégralité de la musique pour piano de Claude Debussy (chez Calliope).
AB