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Chroniques
Claude Helffer
La musique sur le bout des doigts (entretiens)
C'est sous les doigts de Claude Helffer que toute une génération de mélomanes a découvert les grandes pages du piano du XXe siècle, qu'il s'agisse des Sonates de Boulez, de ses intégrales Bartók, Debussy, Ravel et Schönberg ou d'enregistrements épars parmi lesquels comptèrent particulièrement les Archipels d'André Boucourechliev, le Cahier d'Epigramme de Gilbert Amy ou Cryptophonos de Philippe Manoury. Suivant avec passion la création contemporaine, c'est tout naturellement que le critique musical et journaliste Bruno Serrou a réalisé cette série d'entretiens avec le musicien.
Quelques éléments de biographies permettront au lecteur de mieux appréhender l'homme Helffer, mais aussi l'interprète. Né en 1922 dans une famille de musiciens amateurs, il pratiquera dès avant ses dix ans la musique de chambre, à travers trios, quatuors et quintettes, qu'il joue avec sa mère violoniste et son grand-père violoncelliste, scellant ainsi précocement la saine habitude du déchiffrage. Il prendra des leçons de piano auprès de tante Rosalie, apparentée à Robert Casadesus qui deviendrait plus tard son maître, l'un de ceux qui ne prodiguent guère de conseils techniques et ne s'occupent principalement que de musique. C'est sur un lit d'hôpital, que l'adolescent lirait tous les quatuors de Beethoven, se formant peu à peu à entendre intérieurement les lignes que suivent ses yeux. Sans être passé par le conservatoire, il donnerait son premier récital en avril 1948 ; ces débuts furent heureux, mais par la suite, la critique soulèvera à juste titre des problèmes techniques ; de fait, le jeune homme travaillerait d'arrache-pied des études strictes. C'est dans ces années que naîtra le duo qu'il formera jusqu'en 1956 avec le violoncelliste Roger Albin, une expérience qui lui apporterait beaucoup. Puis, pendant deux ou trois ans, il étudie l'harmonie et le contrepoint avec René Leibowitz. De fait, rien d'étonnant à ce que la première œuvre moderne qu'il joue en public ait été la Sonate Op.1 de Berg ! Bientôt arriveraient Pierrot lunaire et le Concerto de Schönberg. C'est l'occasion de dresser un état des lieux des trois clans musicaux de l'après-guerre – Leibowitz et les Temps modernes, Olivier Messiaen et ses élèves, Nadia Boulanger et Stravinsky – qu'il fréquenta avec le même enthousiasme – « Dans notre boulimie de culture, nous prenions tout ce qui se présentait, y compris la philosophie indienne ! ».
Bien sûr, Claude Helffer (qui s'est éteint il y a tout juste deux ans) avait beaucoup à nous dire de son expérience au Domaine Musical. Outre qu'il reprécise le rôle de la Radio et l'action de Tardieu, alors à la tête du Club d'essai, tout dévolue à l'avant-garde musicale, il évoque le talent et le savoir-faire de Hermann Scherchen, l'honnêteté de l'entreprise et la personnalité attachante de Pierre Boulez – « l'un des chefs qui m'a le plus appris ». Sans s'appesantir sur des anecdotes ou des polémiques, ses entretiens s'ouvrent rapidement sur l'engagement du pianiste à défendre la musique de son temps, qu'il s'agisse de son amour pour l'œuvre de Bartók ou de son attachement à la musique de Boucourechliev, en passant par une brève analyse de ce qui lui plait le plus dans le Concerto de Bruno Maderna, de l'énigmatique langage de Jean Barraqué et de l'univers bien construit de Michael Jarrell, des Stances que lui dédia Betsy Jolas et de son intérêt pour les Quatuors de Pascal Dusapin, sans oublier le compte-rendu truculent autant que tendre des soucis de livraison de partitions de Xenakis dont la lecture lui aura valu de porter des lunettes (cf. Page177).
Ce volume, que prolonge un DVD-Rom comprenant l'intégralité de cette rencontre (quelques 12h16), accorde un chapitre au quotidien d'un pianiste, à la vie d'un concert, son menu, ses bis, etc., où sont aussi évoquées les relations de Helffer avec d'autres pianistes. Plus loin, il affirme que ce qui lui importe, c'est principalement de servir au mieux la pensée des compositeurs, et l'on croisera quelques conseils à un jeune pianiste – « je crois au travail lent, où l'on ne cesse de revenir sur la même chose, de reprendre les œuvres comme si on ne les avait jamais étudiées », avant d'aborder directement la pédagogie.
BB