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Chroniques
Claudio Monteverdi
L'Incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée
Maître du madrigal avant de devenir créateur d’opéra, Claudio Monteverdi signe en 1642 L'Incoronazione di Poppea, chef-d'œuvre qui restera longtemps un modèle de composition, établissant des canons à suivre pour bien des générations. Le Maestro a soixante-quinze ans et s'il délaisse pour la première fois l'argument mythologique pour le sujet historique – après Orfeo (1607) et Il ritorno d'Ulisse in patria (1641) [lire notre critique du DVD] –, c'est toujours en s'attachant aux contrastes de l'âme humaine, la musique reflétant la pensée et les émotions des personnages. Le chœur y a d'ailleurs une place très réduite, laissant ainsi la parole à des êtres devenus solitaires. Dramma per musica (tragédie en musique), tel fut d'abord le nom donné à cette invention. Mais l'innovation est aussi dans les scènes comiques, les chansons populaires qu'on y trouve, nous rappelant que le premier théâtre lyrique public (le Teatro di Santi Giovanni e Paolo) s'était ouvert à Venise quelques temps plus tôt, en 1637. C'est presque un miracle que le prologue et les trois actes de cet opéra nous soient parvenus, sachant qu'il n'existe plus que deux sources manuscrites de la partition, l'une conservée à Venise (grâce à la copie de Pietro Francesco Cavalli), l'autre à Naples.
Juriste vénitien et ancien ambassadeur à la cour de Mantoue, Francesco Busenello est aujourd'hui connu pour sa poésie talentueuse, psychologique et dramatique. Son livret puise dans les grandes lignes du XIVe livre des Annales de Tacite une intrigue sulfureuse où l'amour de la chair et du pouvoir triomphe au mépris de la morale. Durant le prologue, Fortune, Vertu et Amour – trois personnages allégoriques – comparent leurs mérites respectifs et ce dernier, s'estimant supérieur aux deux autres, déclare prouver aujourd'hui même sa toute-puissance. Et en effet, rien ne pourra séparer Néron de sa bien-aimée Poppée : Sénèque, qui s'opposait à la répudiation de l'épouse Octavie, est sommé de mettre fin à ses jours tandis qu'Otton, ne parvenant pas à tuer son ancienne maîtresse, sera banni de Rome avec sa complice Drusille, une fois le complot échoué. Octavie est finalement exilée, permettant à l'ambitieuse Poppée de monter sur le trône.
C'est malheureusement un demi chef-d'œuvre que nous découvrons avec cette production du Festival de Glyndebourne, filmée en 1984 par la BBC. La prise de vue est honnête, avec un traitement presque cinématographique – pas d'applaudissements ni de pauses entre les actes malgré les changements de décors. Voir Poppée entrer dans sa baignoire-piscine nous plonge aussitôt dans une ambiance péplum qui rend cette antiquité crédible et familière, malgré le parti pris des costumes Renaissance. Mais nous sommes à l'opéra, et en regard des soucis musicaux, même la mise en scène assez plate de Peter Hall rencontre notre indulgence.
Avec une pompe toute händélienne, Raymond Leppard dirige le London Philharmonic Orchestra dans une lecture bien décevante. Une interprétation prenant au pied de la lettre la réticence de Monteverdi face à l'ornementation et un orgue dominant sur le clavecin dans le continuo déstabilisent car ces éléments nous montrent les premiers pas du travail de renouveau baroque. C'est flagrant côté lyrique, puisque des vocalises assez raides côtoient le chant puissant et vibré bel canto de Cynthia Clarey (Octavia par ailleurs inexpressive). Si Dennis Bailey nous déçoit lui aussi en Nero grimaçant – voix cérémonieuse et truquée qui saute de place en place, émission incertaine –, c'est le reste de la distribution qui donne le sel de cette production : Maria Ewing est une Poppea à la voix puissante et nuancée, Robert Lloyd un Seneca aux graves convaincants et Dale Duesing un Ottone attachant. Citons aussi le beau duo du début, entre Patricia Kern (Fortuna) et Helen Walker (Vertu), ainsi que les apparitions salutaires d'Anne-Marie Owens (Arnalfa).
LB