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Chroniques
Claudio Monteverdi
L’Orfeo | L’Orphée
Étrange genèse que celle de L’Orfeo (favola in musica) : alors que le demi-dieu descend aux Enfers pour ramener Euridice parmi les vivants, Claudio Monteverdi s'engage dans cette composition pour sauver sa femme Claudia, mal remise d'un accouchement. En effet, le duc de Mantoue, envieux de ce théâtre grec chanté qu'on invente à Florence en croyant le réinventer, commande pour sa cité une œuvre proche de celle que vient de composer Jacopo Peri ; en échange, il promet à Monteverdi l'intervention de coûteux médecins.
Créé lors du carnaval de 1607 (24 février), L'Orfeo n'est donc pas le premier dramma per musica de l'histoire, comme on le présente souvent hâtivement, mais sans doute le premier chef-d'œuvre de l'opéra, moderne et réaliste. L'orchestre n'y est pas qu'un simple serviteur de la parole, mais commente les situations et suggère des sentiments. Les plus curieux se reporteront au livret du présent DVD, qui analyse certains choix instrumentaux du compositeur, au regard des informations que nous livre une partition originelle détaillée.
Pierre Audi réalise un très beau travail pour cette production de juillet 1997, à Amsterdam. Le décor consiste en un lieu unique, avec un bassin d'eau, un muret, des troncs suggérant la forêt. À la fin du deuxième acte, le muret disparaît sous la scène pour permettre la mise au tombeau d'Euridice. Dans l'acte suivant, Orfeo n'aura qu'à s'extraire de ce même trou pour signifier son passage dans le monde des morts. Le jeu de chacun est très ténu et l'on apprécie surtout une chorégraphie du chœur réglée et spontanée à la fois – ce chœur qui plus d'une fois fait résonner la maîtrise madrigaliste de Monteverdi. Stephen Stubbs donne à sa direction une fluidité qui s'harmonise merveilleusement avec l'histoire en cours.
Héros de cette mésaventure mythologique, John Mark Ainsley (Orfeo joliment cuivré) livre au fur et à mesure un chant de plus en plus gracieux. L'ornementation, prétexte à une discrète expressivité, est un modèle du genre. Brigitte Balleys est une messagère d'une grande force dramatique, avec une belle conduite du chant ; le grave est corsé et le mécanisme falsetto/petto bien géré. Possédant une couleur riche et des phrasés exemplaires, Bernarda Fink (Proserpina) pose ses aigus dans un velours inouï.
Mario Luperi incarne un Caronte à la voix caverneuse et puissante, mais sujette à des imprécisions. Russel Smythe, après avoir été un deuxième berger souple sans être puissant, compose un Apollo aux aigus très doux, aux graves vaillants, et à l'ornementation soignée. On nous pardonnera de ne pas détailler plus une distribution riche en petits rôles – Jean-Paul Fouchécourt à la présence attachante, etc. –, dont surtout Suzie Le Blanc (Ninfa peu stable) nous paraît au-dessous de ses camarades de scène.
SM