Chroniques

par bertrand bolognesi

Claudio Monteverdi
Vespro della Beata Vergine

1 livre-disque 2 CD Naïve (2004)
OP 30405
Claudio Monteverdi | Vespro della Beata Vergine

Réalisée au Palais Farnèse (Rome) en avril dernier, la contribution de Rinaldo Alessandrini à la vaste discographie des Vêpres de la Vierge – ou, pour mieux dire, Vespro della beata vergine da concerto composto sopra canti fermi – de Claudio Monteverdi paraît chez Naïve, quelques semaines après ses réflexions sur le compositeur, réunies en un livre publié par Actes Sud et Classica [lire notre critique de l’ouvrage]. Le chef italien fréquente cette musique depuis longtemps déjà, et l'on écoutera avec délectation les disques qu'il lui a consacrés chez Opus 111 par le passé : Le Passioni dell'anima, lesLibri di Madrigali et la Musica Sacra.

Éditée en 1610 à Venise sous le titre À la Sainte Vierge : messe à six voix pour chœur d'église et vêpres pour un grand nombre de voix avec concerts spirituels adaptés aux chapelles et aux appartements des Princes, cette somme spirituelle avait été créée en la Basilique Santa Barbara de Mantoue pour l'Annonciation, vers 1607. Monteverdi, espérant se voir attribuer un poste important à Rome, dédie cette publication à Paul V, en vain. Trois ans plus tard, il deviendrait Maître de Chapelle à San Marco, une charge qu'il assumera jusqu'à sa mort (1643).

Alors que de nombreux labels se plaignent volontiers d'un recul alarmant du marché du disque, certains ont compris qu'un produit, pour ne plus être concurrencé par diverses formes de piratage, se doit d'offrir, en plus d'une qualité musicale qui demeure le vif du sujet, des ramifications ou extensions inimitables. Naïve en fait partie : qui pourrait se contenter de copies des volumes de l'Édition Vivaldi, par exemple ? De même qu'un DVD tourné par Michel Follin accompagnait judicieusement l'enregistrement de A quia et des Sept études de Pascal Dusapin, les Vêpres d'Alessandrini sont aujourd'hui livrées dans un fort beau fascicule (reliure fil) offrant des reproductions de représentations sacrées des maîtres italiens du Quattrocento au Seicento, à commencer par la fort belle Annonciation de la Galerie des Offices (Florence), peinte par Martini.

Après les revendications pleine de mérite mais souvent maladroites de Gardiner (Archiv Produktion), la grande tenue parfois austère de Harnoncourt (Teldec 1993, Erato 1998), Gabriel Garrido révélait à l'œuvre une étonnante fougue, poétique et peut-être même sensuelle, il y a cinq ans (K617). Aujourd'hui, Alessandrini offre une interprétation nettement équilibrée, sans discontinuer la pâte sonore, en se gardant de tout effet excessif. La polyphonie s'y répond sans heurt, affirmant comme naturellement tout son relief. Le Nisi dominus à dix voix est une véritable leçon de joie qui sait comme nulle passer outre la pulsation, tandis que le Concerto duo seraphim à trois voix affirme une belle ferveur dans une étrangeté légèrement inquiète.

À la grande qualité de la prestation des musiciens du Concerto Italiano sont associés onze chanteurs, parmi lesquels on appréciera particulièrement la clarté du timbre de Pietro Spagnoli, l'intelligente neutralité de l'interprétation de Vincenzo Di Donato, la couleur toujours un rien théâtrale de Roberta Invernizzi, tandis qu'à son habitude, l'excellente Sara Mingardo nous fait frissonner.

Cette version puise son authenticité spirituelle à la lecture non seulement attentive mais interrogative du texte (musical et religieux). Avec l'interprétation de Jordi Savall (il y a quinze ans, chez Astrée), celle de Rinaldo Alessandrini s'impose avec évidence.

BB