Chroniques

par michel slama

Claudio Monteverdi
Vespro della Beata Vergine

1 CD Éditions Ambronay (2014)
AMY 041
Alarcón joue Vespro della Beata Virgine de Claudio Monteverdi

Captées lors de l’édition 2013 du Festival d’Ambronay, et éditées sous son propre label, ces Vespro della Beata Vergine de Claudio Monteverdi nous arrivent aujourd’hui dans l’interprétation de La Capella Mediterranea et du Chœur de Chambre de Namur, dirigés par le sémillant Leonardo García Alarcón. L’Argentin fut découvert par Alain Brunet, fondateur de la manifestation et de son académie, dans cette belle abbatiale de l’Ain, et génial découvreur de talents.Dernier poulain du directeur visionnaire, Alarcón fut invité làen résidence, pendant quatre années qui lui ont beaucoup apporté.

Très rapidement, sa forte personnalité au talent incontournable lui permit de nouer des liens avec des artistes de renom (comme Anne Sofie von Otter) et de faire découvrir au grand public des œuvres majeures, mais oubliées comme Il diluvio universale et Nabucco, deux oratorios de Michelangelo Falvetti [lire notre chronique du 25 janvier 2015]. Artiste très éclectique, ses interprétations couvrent toute la période baroque, sans dédaigner Rossini ou Piazzolla.

Sa très riche discographie n’avait pas encore offert un disque entièrement consacré à Monteverdi. En 2012, paraissait un disque Monteverdi-Piazzolla qui faisait alterner des airs célèbres des deux compositeurs, rapprochant ainsi les musiques anciennes du Vieux Continent avec celles d’Amérique du Sud, grâce au chantre du tango. Après de longues études musicologiques dont il est très friand, Leonardo García Alarcón [lire notre chronique du 12 octobre 2003] se devait de proposer une vision nouvelle de ces Vêpres largement présentes au disque.

Il est aujourd’hui admis que pour Monteverdi, cette musique était plus une démonstration brillante de son art, une compilation de son génie, qu’une réelle messe mariale destinée à servir une église vénitienne. En témoigne la fanfare instrumentale qui ouvre l’œuvre, empruntée à la toccata d’Ouverture d’Orfeo (1607). Alarcón a d’abord opté pour l’inclusion des antiennes devant les psaumes et le Magnificat, en choisissant un office inédit à ce jour. À la différence de ses prédécesseurs qui empruntaient la liturgie des Antiennes de Sainte Barbe ou de la Nativité de la Vierge, il a décidé de composer un « ordinaire » où les tons des antiennes correspondent à ceux des psaumes et du Magnificat : « pour la première fois, nous pouvons entendre chacun des psaumes précédés d’une antienne qui lui correspond ».

Dès Deus in adjutorium (intonatio), l’inflexion d’Alarcón est donnée : vif-argent dans l’urgence de sa passion communicative, l’œuvre sonne parfois inédite et avance de façon cohérente, presque « militaire ». Les brèves antiennes grégoriennes sont intercalées avec discernement. Les instrumentistes de sa Capella Mediterranea sont des solistes d’exception, tout comme les voix du Chœur de Chambre de Namur, créé en 1987, qu’il façonne à son répertoire depuis 2010 (date à laquelle il succède à Jean Tubéry), par un travail et une rigueur acharnés. On sait combien le chef argentin (qui approche la quarantaine) peut être exigeant avec ses musiciens.

Les nombreux solistes sont tous excellents, à l’exception de la basse un rien effacée et au timbre quelconque de Sergio Foresti. Céline Scheen est parfaite, tout comme Fernando Guimarães et, en règle générale, les voix hautes. Au cours de cette heure et demie d’écoute, il est impossible de s’ennuyer. Chaque pièce est exécutée avec justesse, style et goût. On appréciera particulièrement le Magnificat, rarement interprété avec autant d’ornements raffinés de la part des solistes. Le chant en écho, propre à la musique italienne de la Renaissance, y est superlatif. Mené de main de maître, cet ensemble où chef et orchestre sont rois ne laisse toutefois dépasser aucune aspérité. Que le lecteur nous pardonne une comparaison un peu hardie : un certain Arturo Toscanini ne laissait pas beaucoup de places à ses solistes, lui non plus…

MS