Recherche
Chroniques
Colin Davis et le Bayerischer Rundfunk Sinfonieorchester
Hector Berlioz | Roméo et Juliette
Au mélomane averti, les concerts de la fin octobre, au Théâtre des Champs-Élysées, n'apprenaient pas que Sir Colin Davis est un berliozien de toujours. Aussi, le public européen, et en particulier celui de France,lui doit-il une meilleure connaissance de l'œuvre d'un compositeur qu'on commence peut-être à moins bouder en sa propre patrie. Car, il faut bien le dire, des termes comme Berlioz passion allemande ou Berlioz passion russe, voire Berlioz passion britannique sonnent encore nettement plus juste qu'une passion française qui s'éveille guère en dehors des anniversaires. Ainsi pourra-t-on observer de nombreuses exécutions de Roméo et Juliette dans le parcours du chef, jalonnées par quelques intégrales au disque et, aujourd'hui, ce DVD offrant un concert munichois de 1985.
En 1839, personne n'avait encore parlé d'un livret pour une symphonie ; c'est cependant ce que Berlioz demandait à Émile Deschamps, traducteur du drame shakespearien, à partir de ses propres esquisses. Et dix mois plus tard, une œuvre sans précédent voyait le jour, une symphonie dramatique convoquant trois chanteurs, un chœur et un vaste orchestre pour l'exécution de ses sept parties couvrant près d'une heure quarante.
Plus de vingt ans après sa captation, ce DVD témoigne d'un grand moment. On y goûte une approche tonique et profonde, dans une pâte creusée et construite dans une certaine épaisseur, où la vivacité ne conduit jamais à la légèreté. Le sujet est noir, comme le prouve encore le 6ème épisode (Roméo au tombeau des Capulets), à la fin duquel le chef amorce les fastes d'une fête sans déroger à la tension dramatique. Et là, comme dans la partie suivante, il montre que le compositeur peut aller plus loin avec cette symphonie dramatique qu'avec un opéra : il s'avance dans l'imaginaire narratif de l'auditeur, ce qui est impossible lorsqu'on montre une scène ; sur un plateau, tout dispositif doit être justifié, et l'écoute s'en trouve en général plus passive, alors qu'elle peut ici rester dans une évanescence beaucoup plus puissante. De même Davis profitera-t-il plus haut (V) d'une réminiscence de la Grande Messe des morts, donnée deux ans avant la création de Roméo et Juliette, consistant en l'obstination du chœur dans une note pôle. Les instrumentistes du Bayerischer Rundfunk Sinfonieorchester le suivent scrupuleusement dans une interprétation passionnante en tous points.
Si le Chœur de cette formation négocie assez mal la diction française, les trois solistes s'en sortent beaucoup mieux. La couleur d'Hanna Schwarz s'avère riche, au service d'un chant bien mené à la généreuse projection ; toutefois, si la performance reste satisfaisante en tant que telle, on n'y rencontre pas le recueillement, le respect – évocation de Shakespeare himself – que l'on pourrait attendre dans le legato de ce passage. Le second couplet se trouvera nettement mieux travaillé par une prosodie lyriquement véhémente. En revanche, le plaisir est immense avec Philip Langridge dont la clarté de timbre est tout simplement fabuleuse ! La facilité avec laquelle il enlève ce Scherzetto est un bonheur, distribué avec une incomparable précision, une exquise souplesse, une diction irréprochable bien que chuintant à peine parfois. La basse claironnante de Peter Meven, grand Sachs qui nous quitta il y a trois ans, cuivre avantageusement Frère Laurence. Bref : voilà un document indispensable dans toute DVDthèque musicale qui se respecte !
AB