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Comment sortir de la cage
un portrait de John Cage
Comme le rappelle le Néerlandais Frank Scheffer en guise d’introduction à son documentaire sur John Cage – nous connaissions déjà ceux qu’il signa sur Mahler, Schönberg, Stravinsky, Berio, Dun, Boulez, Stockhausen [lire notre critique du DVD] ou Carter [lire notre critique du DVD], parus ces dernières années chez Idéale Audience Internationale –, c’est Marina Abramovic qui insista pour que le réalisateur rencontre le compositeur, soupçonnant l’importance qu’aurait pour le premier la vision du monde du second. Une heure d’entretien, menée au cours du Holland Festival en juin 1982, permet aux deux hommes de s’apprécier et de débuter, au gré des occasions, une longue période de collaboration (1986-92) dont résulte par exemple Time is Music (1988) et From Zero (1995), émergeant d’un matériel assez unique dans l’histoire de l’archive audio-visuelle.
Parmi toutes les images enregistrées, Scheffer a sélectionné celles de l’année 1987, afin de présenter aux jeunes générations le musicien né voilà cent ans. C’est ainsi que nous suivons le chantre du village global à travers la planète, au gré des événements qui saluent son soixante-quinzième anniversaire : à Cologne en février (Nachtcagetag), à Londres en juillet (Roaratorio), à Los Angeles en septembre, à New York en octobre et à Francfort en novembre (Europera’s I & II), ville où le théâtre prit feu deux jours avant la première de l’ouvrage lyrique commandé par Heinz-Klaus Metzger et Rainer Riehn.
Si des proches interviennent au fil de ces cinquante-six minutes – Merce Cunningham (chorégraphe), David Tudor (pianiste et compositeur) et Takehisa Kosugi (compositeur et violoniste) –, le créateur de 4’33’’ n’est pas éclipsé de ce portrait qui donne une large place à l’ouverture de la pensée. Citant parfois directement leurs paroles, Cage évoque moins des maîtres en musique (Erik Satie, Gita Sarabhai qui l'introduit à la spiritualité indienne) que Duchamp, Beckett, Joyce, Huxley ou le réalisateur d’animation Fischinger ; et ses aphorismes exhalent ce zen approfondit avec Daisetz Suzuki à l’aube des années cinquante : « Les pensées qui sont en dehors de la tête ouvrent mieux la tête que celles qui sont dans la tête », « Je ne fais pas de choix, je pose des questions », etc.
L’autre intérêt de cette publication tient dans les cinq films expérimentaux qui accompagnent le documentaire principal, dont certains s’élaborent en référence aux procédés aléatoires du Yi Jing (ou Yi King, Yi-King). Il s’agit de Chessfilmnoise (une partie d’échec vue à la stricte verticale d’un plateau dont on ne voit parfois que quatre cases entières – 1988, 17’), Nopera (un projet d’opéra pour Tokyo, à partir des chansons écrites par Duchamp pour sa sœur – 1995, 5’56’’), Ryoanji (une pièce méditative et tendue que l’on retrouvera chorégraphiée en décembre prochain, à Paris – 2011, 60’36’’), Wagner’s Ring (1987, 4’24’’) et Stopera’s I & II (1992, 3’05’’) qui, à l’aide d’images accélérées, offrent tous deux un univers lyrique condensé en quelques minutes.
LB