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Chroniques
Cristóbal de Morales
Office des ténèbres
Compositeur réputé, Cristóbal de Morales est né à Séville en 1500. Après des études musicales et classiques, il est admis (à trente-cinq ans) comme chanteur baryton à la Chapelle Sixtine, sous Paul III. Il y demeure dix ans. Revenu en Espagne, il devient maître de chapelle, d'abord à la Cathédrale de Tolède, puis à celle de Malaga. Il meurt en 1553.
S'inscrivant dans la tradition religieuse et dans la lignée des polyphonistes franco-flamands, Morales va utiliser pour son Office des Ténèbres le texte des Lamentations de Jérémie, élégies attribuées au prophète mais sans doute l'œuvre d'auteurs hébreux anonymes. Racontant la destruction de Jérusalem par l'Assyrien Nabuchodonosor en 587 avant notre ère, ce texte hautement dramatique a inspiré nombre de compositeurs au XVIe siècle (de Victoria, Palestrina, de Lassus) : « Jérusalem, lève-toi et dépouille-toi de tes robes de jouissance pour te couvrir de cendres ». Il servira de ferment aux premières tentatives polyphoniques, à une évolution plus complexe du contrepoint. Le manuscrit de la Sixtine atteste que les Lamentations ont été écrites durant le séjour de Morales en Italie ; elles ont sans doute fait partie du répertoire du Pape. Les censures du Conseil de Trente n'ayant pas encore vu le jour, c'est avec beaucoup de liberté que furent choisis les versets utilisés pour cette œuvre religieuse. Grâce à ce disque, on observera une fois de plus qu'il n'y a pas lieu de chercher trace d'un héritage ibérique dans la musique de Morales, rencontrée pourtant dans celles de Victoria et Guerrero. Les modèles qu'applique le compositeur sont proches de ceux de Mouton, Gombert et Richafort.
Nous avons un descriptif extrêmement précis de ce qu'était l'Office des Ténèbres, cette cérémonie très ritualisée des jeudi, vendredi et samedi saints. Située à l’origine vers deux heures du matin dans les enceintes monastiques, on finit par déplacer cette messe la veille, en fin de journée, pour permettre aux fidèles de la suivre. Le rituel intègre le nombre symbolique de cierges allumés et le déroulement de leur extinction qui va plonger peu à peu l'église dans les ténèbres, d'où le nom donné à cette cérémonie. On rendait ainsi compte d'un monde désolé et confus, tel qu'il convient d'imaginer le laps de temps entre l'agonie et la résurrection du Christ.
Denis Raisin Dadre (qui signe un livret très documenté et détaillé) a dû trouver une voie médiane pour cet enregistrement. En effet, si au XVIe siècle le plain-chant était de mise, il n'a plus de sens en dehors de son contexte liturgique – particulièrement pour l'Office des Laudes. Le chef a donc préféré l'évocation du mystère de la passion à une reproduction plus fidèle qui aurait manqué d'émotion. En revanche, l'austérité de cet office est respectée, une absence d'ornement et de maniérisme au service de la spiritualité. L'alternance de répons écrits par Morales et d'antiennes grégoriennes permet de suivre l'office dans sa logique propre. Il conviendra de féliciter ici, pour leurs prestations remarquables, les ténors Lucien Kandel et Hugues Primard (on sait le rôle important que doit jouer ce registre vocal dans presque toute l'œuvre de Morales). C'est l'édition originale de 1564 qui a servi de partition à l'ensemble Doulce Mémoire.
HK