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Chroniques
Daï Fujikura
Time unlocked – Vanishing Point – Fifth station – Grasping – Calling
Né à Osaka (Japon) en 1977, Daï Fujikura devient Londonien à l’adolescence. Il rêve tout d’abord de composer pour le cinéma, mais l’étude de Boulez, Ligeti et Takemitsu le fait changer d’avis. Encore élève au Trinity College of Music, il commence à se faire connaître dans le circuit contemporain – Frozen Heat (1998) pour treize musiciens, Clari4nics (2000) pour quatre clarinettes, Eternal Escape (2001/2006) pour violoncelle, etc. De fil en aiguille, le jeune homme visite Darmstadt, découvre la musique traditionnelle de ses ancêtres, décroche une maîtrise au Royal College of Music, devient le protégé d’Eötvös, s’intéresse à la spatialisation et expérimente la vidéo – ce qui le conduit à Teki moromoro (2005), pour piano solo et vidéo de Tomoya Yamaguchi. À part ce rêve enfin réalisé, son nom est plutôt associé à ceux des Modern Ensemble, Klangforum Wien, Ensemble Intercontemporain et, comme ici, Prague Modern, composé de solistes du Česká Filharmonie Prag.
Avec ses trompette et violoncelle jouant sur scène, et huit autres instruments éparpillés dans la salle, Fifth station (2003-2004/2008) s’apparente à une marche solitaire dans une forêt bruissante et venteuse, où le lyrisme primordial des cordes est régulièrement chahuté par des interventions tantôt fluides, tantôt saccadées. D’un esprit assez proche, Vanishing Point (2004/2006), « entièrement construite sur l’idée de la disparition vers un seul point » et sur celle d’un trou s’agrandissant à chaque tutti pour fragmenter peu à peu une surface, déroule de fragiles nappes cristallines menacées par les cordes et la percussion, jusqu’aux piétinements finaux.
Dans Time unlocked (2007), les cordes (violon, alto) jouées avec un plectre dialoguent avec des vents aigus (hautbois, clarinette). Les deux groupes servent à amplifier le piano qu’ils entourent, et créent une sorte de « super-piano » en développant pizz’ et résonnances. La tension y est omniprésente malgré quelques ilots méditatifs qui peuvent rappeler, ça et là, l’Orient d’Harvey et de Debussy.
Les dernières pièces datent de notre décennie. Lorsqu’il évoque celle pour cordes, Grasping (2011), Daï Fujikura confie : « je voulais approcher une sorte de chaos […], explorer le processus de transition entre les solos vers les tuttiet inversement ». Paradoxalement, cette partition apparaît la plus lumineuse du programme, onctueuse et parfois même souriante – un chaos déliquescent plutôt qu’explosif, donc ! Enfin, inspirée par les guetteurs antiques qui sonnaient l’alarme du haut d’une colline, Calling (2011) a servi au compositeur à mieux connaître le basson, en vue d’écrire un concerto. Déjà présent dans deux pièces du CD, Pascal Gallois interprète ce solo avec la certitude que « Fujikura recherche souvent un jeu instrumental proche de l’interprétation romantique […], le plus ardent possible, soutenu par le vibratocaractéristique du romantisme ». En effet, nuancée et aérée, la pièce rejette le simple exploit virtuose [lire notre chronique du 5 avril 2012].
LB