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Chroniques
Daniel Barenboim
La musique est un tout – Éthique et esthétique
Paru il y a deux ans à Milan (Giangiacomo Feltrinelli Editore) et en langue italienne, ce nouvel ouvrage du chef d’orchestre et pianiste Daniel Barenboim est aujourd’hui traduit en français par Laurent Cantagrel. Avec La musique est un tout, Barenboim présente son besoin de toujours travailler plus profondément ses répertoires, de jouer et rejouer sans cesse les œuvres du passé mais aussi de servir la création contemporaine. Économe en anecdotes et autres anicroches complaisantes, son récit s’emploie à renseigner sur une sorte de morale du musicien, faite de travail, de dévouement à son art, d’honnêteté artistique, intellectuelle et humaine.
Ainsi énoncée, la chose paraît facile… et pourtant ! Il est bien des exemples où la musique n’y suffit pas, comme le laisse assez présumer le sous-titre de l’ouvrage, Éthique et esthétique. Après avoir comparé la démarche de l’artiste à celle du médecin, voire la recherche musicale à l’avancée de la science, c’est à la politique que Barenboim étend sa réflexion. En affirmant « la musique a le pouvoir d’exprimer le potentiel d’une humanité qui sait dépasser ses propres limites. Elle a la capacité de mettre en relation les êtres humains, sans distinction de sexe, de race ou de nationalité » mais encore « l’art peut changer la vie et la musique ne fait pas exception. L’approche philosophique de la musique est aussi essentielle que l’approche philosophique de l’existence », il nous introduit plus avant dans sa façon d’appréhender le conflit israélo-palestinien, avec une impartialité qui lui fait honneur. Imprimé en mars 2014, ce texte ne se situe pas dans la tourmente que connut cet été, où furent sauvagement confondus antisémitisme et droit de vie et de mort d’un peuple sur un autre dans une affaire internationale qu’il reste parfaitement légitime de désigner par le mot « guerre ». Ce qu’écrit Barenboim fait particulièrement sens à le lire à ce moment précis ! Car plus que sur la responsabilité partagée du conflit, il s’interroge sur la volonté d’en sortir, de le solutionner au mieux pour tout le monde. « Plus on comprend et plus on accepte son propre ennemi, plus on et compris et accepté par lui. La seule solution au conflit du Proche-Orient réside dans cette acceptation réciproque », avance-t-il. Quand enfin il ose « il est temps de cesser de jouer à qui est le plus gravement victime », on ne peut que respirer à pleins poumons un air nouveau, débarrassé de miasmes nationalistes qui accrochent un idéal sioniste non réalisé à l’épouvantail de l’Histoire.
C’est tout naturellement qu’il relate dans la foulée l’instrumentalisation politico-médiatique de son interprétation en Israël du Prélude et mort d’Isolde de Wagner en 2001, dénonçant ici une controverse montée de toute pièce quand le public dudit concert avait pourtant apprécié ce moment, loin du scandale qu’on a prétendu par la suite. Encore nous mène-t-il plus loin dans Die Meistersinger von Nürnberg pour aider le lecteur à ouvrir les yeux sur de fausses affirmations désormais admises comme vérités. Nous voilà à des années-lumière de l’essai de Gumplowicz qui nous déplut tant [lire notre critique de l’ouvrage] ! Et « lumière » est le mot juste pour décrire la clarté et la bonne volonté avec lesquelles Barenboim devise sur ces sujets épineux.
Après un chapitre consacré à l’engagement de Barenboim à continuer de jouer à Gaza, puis deux discours de circonstance, le livre s’achève par des quatre interviews : sur Don Giovanni, Carmen, Die Walküre, mais aussi sur la belle aventure du West-Eastern Divan Orchestra.
Une lecture passionnante, vraiment !
JO