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Chroniques
Darius Milhaud
Les malheurs d'Orphée – Le pauvre matelot
La précieuse Collection Musique Française des disques Accord fait paraître ces enregistrements effectués pour Véga en 1956 et réunissant des solistes solides à la diction exemplaire et au style parfait, accompagnés par les musiciens de l'Orchestre du Théâtre National de l'Opéra de Paris, dans deux ouvrages de Darius Milhaud conçus en 1925 – ici dirigés par le compositeur en personne.
Les Malheurs d'Orphée fut créé à La Monnaie de Bruxelles au printemps 1926. Il comprend trois actes brefs racontant l'histoire du guérisseur Orphée dont tout le monde vante les mérites, lui qui soigne avec succès la pelade de l'âne, la foulure du chien et la vigne malade. Le mythe a voyagé jusqu'en Camargue où le poète, ici sorte de chamane joyeux – car il est bien entendu que les poètes savent des secrets que le commun ignore –, s'enamoure de la belle gitane Eurydice. Au deuxième acte, la jeune épouse tombe fatalement malade sans que le héros parvienne à vaincre l'esprit d'une mal pernicieux venu peut-être des mauvaises pensées des villageois qui dans une scène précédente voyaient d'un œil jaloux l'union du rebouteux avec une étrangère. Les animaux, amis d'Orphée, pleurent avec lui, et même « le loup a perdu le goût du sang ». Eurydice meurt, Orphée se lamente, et les bêtes se désolent dans un déchirant chant funèbre. Pour finir, trois sœurs de la défunte viendront accuser Orphée de l'avoir tuée, seuls les animaux sachant « que [s]on cœur saigne ». S'il s'en défend, il se laisse toutefois occire par les vengeresses, pressé qu'il est de retrouver son Eurydice dans l'Hadès. Seulement alors, elles peuvent comprendre qu'il est innocent, que son amour est plus fort que la mort. Sur un ton faussement naïf, la fable, qui s'inscrit dans une commune préoccupation de l'époque – quelle est le rôle du poète dans la communauté humaine ? – est touchante, et l'interprétation précieuse.
Bien que fasciné par les grands mythes (Arthur, Orphée, Œdipe, etc.), c'est une histoire domestique que Jean Cocteau écrivit pour l'opéra de Milhaud Le pauvre matelot. Fable morale-immorale sur la fidélité, elle raconte le crime d'une femme de marin qui tue sans le savoir son mari dans le but d'enrichir son foyer avant le retour de celui-ci, et tout cela avec la complicité de son père. Telle est prise qui croyait prendre... On s'étonne qu'au ton attendri d'Orphée succède le cynisme amusé du Matelot !
AB