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Chroniques
Didier van Moere
Karol Szymanowski
À l'heure où plus d'un chroniqueur, avec la complicité d'éditeurs peu scrupuleux, s'octroie l'autorité d'écrire la biographie succincte d'un compositeur – biographie consistant la plupart du temps en une synthèse plus ou moins heureuse d'autres auteurs, bien souvent sans prendre la peine d'en vérifier la documentation et, pis encore, en avançant des opinions et jugements fondés sur des courants d'air –, il fait bon se plonger dans une étude sérieuse et approfondie.
Il devrait aller sans dire qu'un ouvrage de ce genre trouve ses fondements en une connaissance rigoureuse des partitions, des articles critiques de l'époque concernée, du paysage culturel de ce temps-là, du contexte historique, politique et social dans lequel naquit une œuvre. Il devrait aller sans dire qu'un biographe s'accorde la chance de mettre en péril ses propres idées reçues en se plongeant dans la vie même de son sujet via sa correspondance et tout souvenir provenant de ses entourages proches et moins proches. Il devrait aller sans dire qu'une approche critique de ce que purent écrire d'autres biographes – qu'ils soient polonais, anglais, allemand ou français – saura seule donner au nouveau volume la dimension à laquelle il prétend.
En se lançant dans l'œuvre et la vie de Karol Szymanowski, Didier van Moere n'est certes pas allé au plus facile. Voilà une musique que les musicographes disent volontiers connaître et même, parfois, aimer bien, mais sur laquelle ils n'écrivent pas ou peu, du bout des doigts. Voilà une musique dont les interprètes saluent de vive voix les qualités mais qu'ils honorent encore trop rarement. Paradoxalement, sa représentation discographique est tout à fait respectable. Qu'un musicologue soit suffisamment convaincu de l'intérêt de son sujet pour étudier patiemment chaque partition paraît aller de soi. De là à s'atteler à l'écriture d'une biographie, ce qui induit de s'immerger dans la culture polonaise de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe, il y avait un pas qu'a franchi l'auteur du présent livre avec un tel souci d'exactitude qu'il traduisit du polonais en français les lettres de Szymanowski. C'est une grande chose que de livrer un ouvrage qui manque à notre culture ; c'est une chose plus grande encore que d'en livrer un dont de nombreux lecteurs ignoraient eux-mêmes qu'il leur manquât.
Des étés d'enfance à Tymoszówka à une mort lente à Lausanne, ce livre suit pas à pas Szymanowski, de projets en œuvres, de rêveries en pensées, d'espoirs en déceptions, d'escapades ensoleillées en angoisses de sanatoriums, d'amours en solitude, à travers chaque élan créateur, qu'il soit accompagné de fougue, de rage ou de plaisir. L'on aborde le territoire des poètes et des peintres de La Jeune Pologne, on découvre Zakopane et l'idéal d'authenticité qu'il put représenter, on apprend à quel point la patrie même du compositeur lui fit tort en ne le reconnaissant pas. Voilà une somme que je conseillerai de lire lentement, en prenant le temps de s'arrêter pour écouter les œuvres dont les analyses surviennent au fil du texte, et, puisque la toile nous en offre la possibilité instantanée, en regardant les travaux des symbolistes polonais. Une imprégnation foisonnante récompensera cette patience.
BB