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Chroniques
Dmitri Chostakovitch
Hamlet Op.116/116a
Dans la Russie du XVIIIe siècle, William Shakespeare apparaît comme l'artiste capable de mettre d'accord – sinon réconcilier – traditionalistes et avant-garde musicale. L'indécision d'Hamlet, par exemple, n'est-elle pas proche de l'indolence du très russe Oblomov, le personnage de Gontcharov ? Il n'est donc pas étonnant que Dmitri Chostakovitch soit tombé lui aussi sous le charme du dramaturge britannique.
En 1928, il rencontre le réalisateur Grigori Kozintsev. Ils forment une équipe qui produira King Lear en 1941 et Hamlet quarante ans plus tard, en 1954. La musique de film sert un drame à trois personnages, balancés entre événements privés et jeu politique. Chostakovitch développe les thèmes principaux de façon presque symphonique, les combinant et les variant de manière appropriée, les utilisant parfois comme des leitmotive. Par la suite, l'œuvre servira de support à de nombreux ballets et à une suite en huit mouvements adaptée par un ami du compositeur, Lev Atovmian, que ce disque nous présente aujourd'hui en première discographique.
Né en 1962, Dmitri Yablonski commence ses études musicales à Moscou puis les poursuit aux Etats-Unis. Il débute en tant que chef à Rome, en 1990, et devient rapidement principal chef invité de l'Orchestre Philharmonique de Moscou. Il donne ici une très belle interprétation de cet Hamlet, à la tête de l'Orchestre Philharmonique Russe.
Dès l'ouverture, il offre une lecture très dramatique, maniant efficacement contrastes et nuances, arborant des cordes d'une grande tenue. La couleur générale évoquant le conte médiéval n'est pas sans rappeler les partitions de Prokofiev, celles pour le cinéma mais aussi les ballets. Le bal, typiquement chostakovien, est servi par une excellente section de cuivres. Le chef sait dessiner avec retenue et délicatesse les plus belles pages de cette œuvre, notamment Le fantôme (plage 7) – après une ouverture de style horrifique et un roulement de tambours, un thème s'égraine de façon énigmatique sur un choral lancinant des cordes, avec quelques rappels liturgiques – ou encore Ophélie sombrant dans la folie (plage 18).
Ce disque est une réussite qui devrait éveiller la curiosité des mélomanes.
AB