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Chroniques
Dmitri Chostakovitch
quatuors à cordes Op.68 n°2 – Op.142 n°14
Alors qu'il lui faut incessamment justifier ses nouvelles partitions auprès des censeurs soviétiques, Dmitri Chostakovitch – dont plusieurs œuvres seraient composées délibérément pour le tiroir, se dérobant à tout jugement politique – échafaude son projet le plus vaste : un monument de vingt-quatre quatuors à cordes. Commencé en 1938, le temps ne laisserait pas au musicien loisir de mener à terme cette ambitieuse entreprise, portant à quinze le nombre de quatuors achevés lorsqu'il s'éteint en 1975. Le sort décidait ainsi qu'aux quinze symphonies de l'auteur pourraient être associées quinze quatuors, le Huitième ayant d'ailleurs fait l'objet d'une orchestration (par Rudolf Barshaï).
Cet enregistrement des 2ème et 14ème Quatuors de Chostakovitch vient magnifier l'intégrale entreprise chez Arion par le Quatuor Debussy, en 1998, qui compte aujourd'hui quatre autres volumes ; dans quelques semaines paraîtra la dernière livraison, comprenant le Quatuor n°15, accompagné par le Quintette avec piano. Soulignant à peine le caractère de chant populaire dansé de l'Ouverture du Quatuor en la majeur Op.68 n°2 écrit durant l'été 1944, les quartettistes s'ingénient à nuancer délicatement une partition moins anodine qu'elle veut bien s'en donner l'air. Ainsi l'Adagio suivant fait-il figure d'élégie contenue, tandis que la Valse s'avère complètement angoissante. Contrastée, leur lecture trouvera à libérer une expressivité qui n'oublie pas l'équilibre de la sonorité dans le quatrième et dernier mouvement.
C'est dans l'épuisement de la maladie que Chostakovitch compose son Quatuor en fa # majeur Op.142 n°14, au printemps 1968, en deux semaines pourtant. Le Quatuor Debussy pose dès l'Allegretto initial un climat moins léger qu'il n'y paraît, flirtant avec un relatif néo-classicisme bien vite contredit. On appréciera ici la belle énergie d'une interprétation fort engagée dans l'univers du musicien, capable d'en révéler toute la richesse d'écriture. Le douloureux Adagio central, où certains commentateurs ont bien voulu voir une sérénité qui nous semble bien éloignée du sujet, donne libre cours au cri comme à la construction savante sur un thème d'une mélancolie poignante, qui font de ce mouvement certainement le plus beau passage du disque, même s'il est parfois presque insoutenable aux âmes sensibles. Les interprètes amorcent ensuite l'Allegretto dans un certain mystère, avant que d'en accentuer l'âpreté et la dissonance, dans une virevolte acide qui résiste à l'apaisement. La seconde partie du dernier mouvement garde bien cachés des secrets qu'on devine peu tendres, leur préférant une rêverie idéale et pure.
BB