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Chroniques
Dmitri Chostakovitch
L'exécution de Stepan Razin Op.119 – Octobre Op.131 – Cinq fragments Op.42
Malheureusement pour lui, Dmitri Chostakovitch (1906-1975) fut très tôt remarqué comme un jeune espoir de la musique soviétique, si bien que toute sa vie, ses œuvres seront tour à tour encensées (Symphonie n°5, 1937) ou vilipendées (Lady Macbeth de Mtsensk, 1934) par le tout-puissant Staline. On connaît les idées de ce dernier sur le formalisme bourgeois et le chaos en musique – idées que la Guerre Froide ne fera qu'entretenir après 1948. Pendant longtemps, Chostakovitch sera obligé d'associer des thèmes patriotiques à une musique inventive et dramatique, comme le prouvent deux des présentes pièces, composées au soir de son existence.
L'exécution de Stepan Razine Op.119 est un poème symphonique pour baryton-basse, chœur mixte et orchestre, écrit en 1964 sur des paroles d'Evgueni Evtouchenko. Il relate la formidable rébellion du chef cosaque Stepan Timofeïevitch Razine contre le pouvoir des boyards et des officiers, après la conquête d'Astrakhan où il fut proclamé Gosudar. Capturé à Kagalnik, torturé et vraisemblablement décapité en 1671, il devint un héros posthume, symbole d'affranchissement individuel. Bien entendu, en célébrant un tel personnage, Chostakovitch se présente en digne serviteur de la Révolution – les manuels soviétiques d'histoire décrivaient le populaire Stenka (diminutif de Stepan) comme un défenseur du peuple contre l'oppression tsariste, omettant benoîtement qu'il agissait pour son propre compte, hésitant ni à piller ni à massacrer – tout en encourageant la résistance à une répression qui survit à la disparition de Staline, se situant plus subtilement dans l'héritage des poèmes de Pouchkine et de Kamensky dédiés à l'illustre Cosaque.
Outre son personnage, le chanteur est également narrateur, entouré par un chœur qui, à la mode antique, lui vient en écho. L'Américain Charles Robert Austin, ancien pilote d'hélicoptère, s'avère ici particulièrement vaillant, offrant ce timbre corsé à la projection généreuse qui fait de lui un grand wagnérien – son répertoire voyage de Daland à Klingsor en passant par L'Oiseleur, Mark, Sachs, Hunding et, bien sûr, Wotan. On saluera la souplesse du phrasé comme la vigueur de l'émission, affirmant ici une interprétation toujours nuancée.
Autre poème symphonique, Octobre Op.131 fut achevé par Chostakovitch le 10 août 1967 et présenté le16 septembre dans la Grande Salle du Conservatoire de Moscou, sous la direction de son fils Maxime. Ce n'était pas la première fois que le compositeur célébrait la Révolution d'Octobre (voir ses Seconde et Douzième symphonies), mais le cinquantenaire de l'événement exigeait une œuvre à part – bricolée à partir de thèmes d'anciennes partitions.
Composés plus de quarante ans auparavant, entre une musique pour un dessin animé, une autre pour une comédie-ballet, les Cinq Fragments Op.42 nous plongent dans une toute autre période de la vie et de l'art du compositeur. Écrite dans une esthétique peut-être infiltrée par la Seconde École de Vienne, cette œuvre aphoristique pour petit orchestre qui servit d'étude expérimentale à la Quatrième Symphonie ne sera créée que le 26 avril 1965 – soit déjà trentenaire ! – à Leningrad. On écoutera avec plaisir ce CD gravé par le Seattle Symphony et son chœur, conduit avec précision et expressivité par Gerard Schwarz.
AB