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Chroniques
Dmitri Chostakovitch
Symphonie en ut mineur Op.43 n°4
En 1934, lorsqu'il commence à concevoir sa Quatrième symphonie, Dmitri Chostakovitch entend se faire chroniqueur de son temps, vécu comme l'épopée soviétique en laquelle beaucoup de jeunes artistes russes croient encore. Sa Lady Macbeth de Mzensk, achevée deux ans plus tôt, vient d'être créée à Leningrad où elle connut un accueil triomphal, de sorte que le Bolchoï monte sa propre production de l'opéra un an après. Malheureusement, le 26 janvier 1936, Staline en personne, accompagné de Jdanov, Mikoïan et Molotov, assiste à l'une des représentations. Le surlendemain, parce que le tant puritain Petit père des peuples avait été affreusement choqué par le regard frontal et irrévérencieux porté par l'auteur sur la vie de province et ce qu'il n'est alors plus convenu d'appeler la morale bourgeoise mais qui relève bien encore de cette réalité-là, la Pravda démolit l'opéra de Chostakovitch dans un article assassin intitulé Un galimatias musical. N'épiloguons pas sur ce triste épisode : une glose supplémentaire à cette affaire n'apporterait rien de plus aux commentaires des historiens ; mais – ironie du sort – il se trouve que c'est dans un climat terrible où l'on traîne son travail dans la boue et où tout le monde se garde bien de jouer ce qu'il écrit que Chostakovitch, meurtri, rédige cette symphonie épique qui aurait du exprimer un grand sentiment national. Hélas, les choses s'étaient tant gâtées entre temps que le compositeur enterrera son finale par une tragique marche funèbre précisément couchée sur la partition durant les odieuses attaques officielles dont son opéra fut l'objet. Si plus tard certaines de ses pages furent prudemment refusées par les interprètes où les décideurs des successives commissions culturelles du Régime, cetteQuatrième fut retirée de l'affiche la veille de sa création par Chostakovitch lui-même, refusant prudemment de livrer en pâture un travail sincère. Les opus qui suivront seront désormais les témoignages masqués d'un exilé intérieur, comme on l'a souvent dit, ayant dû renoncer à la simple liberté créative.
Ce n'est qu'en 1961, lorsque l'ère stalinienne semble loin, qu'il en reconstitue le matériel d'orchestre (détruit pendant le siège de Leningrad) pour la création qui aura lieu sous la battue de Kirill Kondrachine, le 30 décembre. Ce grand chef, principal défenseur de la musique de Mahler en URSS, avait quitté la direction du Bolchoï six années auparavant parce qu'il lui était impossible d'y promouvoir la création contemporaine, et venait de prendre en charge celle de l'Orchestre Philharmonique de Moscou qu'il assumerait durant quinze ans, emmenant bientôt en tournées internationales cette formation qu'il rendit prestigieuse par son exigence artistique. Bien sûr, il l'enregistre dans la foulée du concert (Melodiya) avant d'en conduire de nombreuses exécutions ici et là, parmi lesquelles la création allemande où il conduisit la Staatskapelle de Dresde, le 23 février 1963 – le collectionneur passionné trouvera peut-être, avec beaucoup de persévérance, une gravure réalisée à partir d'unlive parisien de mars 1980 (in extremis, Kondrachine nous ayant quittés exactement un an plus tard).
Outre sa valeur de document historique, le présent disque offre une interprétation d'une tenue exemplaire, avec un Allegretto initial s'ouvrant dans une grande fluidité. Bien sûr, on y retrouve plus d'un air de famille avec Lady Macbeth de Mzensk, comme la partie de bois, dangereuse et presque méchante, pourrait-on dire, le brouhaha qui ponctue le premier quart du mouvement, et la nerveuse tonicité des cordes de sa dernière longueur. Le bref Moderato central est introduit dans une angoissante sinuosité, malgré l'insistance d'un motif franc de quatre notes qui reviendra sous diverses formes tout le long de l'épisode, au delà d'un surgissement de danse contrariée ou d'une schizophrène fantaisie des flûtes. Enfin, le funèbre et évidemment mahlérien troisième mouvement – Largo, Allegretto – enchaîne le dépouillement d'une mélopée de basson à une triomphale gueulante des cuivres, presque insoutenable de charge tragique, suspendue par des étrangetés de cirque où les funambules font les clowns, à moins que ce ne soit l'inverse... Pour finir, Kondrachine enfle le roulement continu de timbales, concluant dans une désolante crudité.
BB