Chroniques

par hervé kœnig

Dmitri Chostakovitch
Symphonie en si bémol majeur Op.113 n°13 « Babi Yar »

1 SACD MDG (2006)
937 1205-6
Dmitri Chostakovitch | Symphonie n°13

« J'écrivis d'abord quelque chose qui ressemblait à un poème symphonique et vocal sur les vers d'Evgueni Evtouchenko, Babi Yar. Puis j'eus l'idée de prolonger mon travail de composition en utilisant d'autres œuvres du poète. Pour le deuxième mouvement, je pris le poème L'Humour, pour le troisième Au magasin. Le poème Les Terreurs, qui est le fondement du quatrième mouvement, a été écrit par Evtouchenko expressément pour ma symphonie. Le finale prenait comme base le poème La Carrière […]. » Si Dmitri Chostakovitch n'avait pas d'emblée décidé d'écrire une symphonie, tout porte à croire que son envie d'associer musicalement des thèmes littéraires assez divers soit à l'origine de cette Symphonie en si bémol mineur Op.113 n°13, créée le 8 décembre 1962 à Moscou, par l'Orchestre Philharmonique de Moscou et le chœur de basses de l'Institut Gnésine.

Plus d'une fois dans sa carrière, par l'intermédiaire de sa musique, Chostakovitch s'est opposé au régime totalitaire de l'URSS. Après les Septième, Huitième, Neuvième symphonies dite de guerre, la Dixième qui suit immédiatement la mort de Staline, la Treizième se veut plus explicite encore, avec l'utilisation de paroles claires. Les premiers vers – qui donnent son sous-titre à l'œuvre – furent publiés vingt ans après la tragédie vécue par les Juifs de Kiev, à la fin septembre 1941 : en deux jours, plus de trente mille personnes furent mitraillées par les soldats allemands au ravin de Babi Yar. En cette année 1961, le dégel annoncé par Khrouchtchev cède la place à diverses tentatives de restaurer le stalinisme, et parce que le pays connaît un regain d'antisémitisme, le poète fut contraint d'évoquer les victimes Russes et Ukrainiennes du massacre.

« Dans ma Treizième Symphonie, j'ai posé le problème de la morale des citoyens, justement des citoyens », explique encore le compositeur, et la poésie d'Evtouchenko, pétrie « d'idées réfléchies et d'une humanité incontestée », l'aidait à une dénonciation explicite de toutes les dictatures. Cette création inquiéta les personnalités officielles du Parti, si bien que certains musiciens très connus furent intimidés ; ainsi, après le refus d'Evgueni Mravinski, c'est Kirill Kondrachine qui assura la création, ce Kondrachine qui dirigea le Bolchoï de 1943 à 1955 grâce, précisément, à une recommandation officielle de Chostakovitch et Khaïkine, et auquel on doit un fort bel enregistrement de l'œuvre (chez Melodiya).

À la tête du Beethoven Orchester Bonn, le chef ukrainien Roman Kofman conduit l'introduction deBabi Yar, le premier mouvement, dans une pâte égale qui caractérise la sobriété de son approche générale, toujours d'une grande et digne tenue. Dans les passages plus héroïques, le chef parvient à ne pas concéder à une esthétique trop martiale pour préserver la profondeur de la pâte sonore choisie. C'est d'une couleur aigrelette qu'il peint Humour, épisode enlevé mais jamais léger. À l'éternel jeu des citations chostakoviennes, on retrouvera ici un célèbre motif de Bartók. Le troisième mouvement renoue avec l'hiératisme du début, dans un bel équilibre, jusqu'au déploiement progressif du climax. À une avant-dernière partie plus éclatante succède La Carrière, dans une tendre mélodie de flûte, affirmant une conception cette fois lisiblement mahlérienne que vient clore un serein carillon. La basse Taras Shtonda révèle des possibilités expressives diverses, malgré un aigu un peu raide et une rondeur parfois presque sourde dans le médium. La prestation du Chœur Philharmonique Tchèque de Brno, dirigé par Petr Fiala,est en tout point remarquable. Si l'on appréciera la clarté de cette version, on reviendra cependant à celle gravée par Barchaï avec Alexachkine et WDR Sinfonieorchester.

HK