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Chroniques
Dmitri Chostakovitch
pièces pour deux pianos
Dans ses dernières années d'existence, Dmitri Chostakovitch s'est principalement concentré sur des opus chambristes, l'effectif réduit semblant tout indiqué pour traduire son angoisse croissante à l'approche chaque jour précisée de la mort. Ainsi observe-t-on aucune page symphonique entre le 2ème Concerto pour violon de 1967 et la 15ème Symphonie créée cinq ans plus tard. La Quinzième, en fait la dernière, après une Quatorzième (1969) atypique car écrite pour deux voix et formation de chambre [lire notre critique du CD], croise les mêmes eaux intérieures que les ultimes quatuors à cordes et que la testamentaire Sonate pour alto et piano, à laquelle elle s'apparente assez évidemment par son second mouvement. Conçue en la majeur et en quatre épisodes durant les mois d'été 1970, elle réunit à l'évidence tout ce qui fit les caractères de ses ainées, en un concentré d'une quarantaine de minutes. On ne s'étonnera donc pas de rencontrer dans l'Allegretto initial une hargne ironique qui s'exprime sans se laisser déchiffrer, une méditation qui se méfie de l'élégie à laquelle elle préfère manifestement le gel, dans l'Adagio central, dont le tragique bouleverse l'écoute, la danse folle du bref second Allegretto (Troisième mouvement), ainsi que le labyrinthique jeu de citations tissées (omniprésence de Die Walküre et de Tristan und Isolde dans l'Adagio conclusif, et souvenirs troublants de sa propre Quatrième, par exemple) cher à l'auteur depuis toujours.
C'est dans le but de la faire entendre par l'Union des Compositeurs d'URSS qui avait à en autoriser la création ou non que Chostakovitch transcrivit pour deux pianos sa Symphonie en la majeur Op.141 n°15, avant que son fils Maxime en dirigeât la version originale à Moscou. La démarche des pianistes Philippe Entremont et Laura Mikkola ne manque pas d'un esprit dialectique, puisqu'elle nous plonge au cœur d'une réduction qui sait adroitement rendre compte des déploiements orchestraux. Tout en concentrant l'abord des dernières œuvres de Chostakovitch sur une conception chambriste plus en accord avec le reste de sa production d'alors, elle en transcende la prétendue exiguïté du format, tant par une fidélité absolue à une volonté de l'auteur de faire sonner d'autres instruments que le piano dans les deux crocodiles en présence, que par le judicieux recours des artistes à la facture Fazioli, toujours prometteuse d'une grande possibilité de couleurs. L'auditeur se grisera aisément à cette écoute qui rend plus intime encore l'écriture du dernier Chostakovitch (et c'est le propre de toutes les bonnes transcriptions) tout en excitant son imagination vers un orchestre comme en genèse.
Né en 1938, Maxime Chostakovitch devait diriger la première de la Quinzième (en 1972, nous l'annoncions plus haut) ; quelques années auparavant, lorsqu'il ne comptait encore que quinze printemps, son père lui avait composé un Concertino pour deux pianos, l'Opus 94 (1953) que l'adolescent créerait en compagnie d'Anna Maloletkova. Nos artistes en livrent ici une vision généreusement brillante qui complète par une note optimiste cet enregistrement d'une belle gravité.
BB