Chroniques

par bertrand bolognesi

Dmitri Chostakovitch
pièces pour piano – transcriptions

1 SACD Decca (2004)
470 649-2
Le pianiste Vladimir Ashkenazy joue Dmitri Chostakovitch

Après ses excellents enregistrements de Scriabine et Rachmaninov, entre autres, le pianisteVladimir Ashkenazy gravait pour Decca en avril et septembre de l'année dernière un superbe disque consacré à Dmitri Chostakovitch. Le programme est ouvert par la Sonate Op.61 n°2 que le musicien russe écrivit en pleine seconde guerre mondiale, dans un style plus conforme à un certain héritage classique et romantique qui laisse penser que l'âge l'a libéré de ses propres radicalités (il a alors trente-six ans – la Sonate pour piano Op.12 n°1 avait été composée par un garçon de vingt ans qui éprouvait le besoin d'affirmer un avant-gardisme revendicatif). Ashkenazy offre au premier mouvement (Allegretto) la fluidité rêvée, sans omettre les effets de percussion sur les aigus. Le développement s'articulera plus nettement, jusqu'à éclore en un jeu orchestral qui met en valeur les différents plans, les échanges et les couleurs. Cette lecture, extrêmement nuancée, souligne d'un relief à la fois discret et plein de surprises le caractère élégiaque de la mélodie principale, toujours avec beaucoup de douceur. Elle expose le Largo central dans un dénuement fascinant et très recueilli, rendant soudain évidente l'écriture de Chostakovitch. On regrettera une nouvelle fois – au risque de se répéter – les aigus disgracieux et brutaux du piano Steinway & Sons ; on aurait sans doute pu gagner en mystère avec un instrument plus souple dans ce registre. Sans emphase aucune, Ashkenazy s'avère expressif, comme en toute simplicité. Il articule élégamment le Moderato con moto qui clôt cette page, dans un effet progressif d'opposition ombre / lumière qui s'enfle presque imperceptiblement durant quatre minutes. La suite est toute en pudique demi-teinte, avant de déployer une remarquable énergie dans la section staccato. On saluera cette version comme l'une des mieux équilibrées.

Suit une succession de pièces brèves, dont les Trois Danses Fantastiques qui furent longtemps les favorites des salles de concert, depuis leur création par l'auteur en 1925 à Moscou. Ici, la première jouit d'une belle nonchalance sur le début, avec un esprit charmant qui semble s'ennuyer comme un personnage de Griboïedov. La seconde est desservie par la dureté des aigus du piano, tandis que la dernière s'amuse follement dans une jobastre plaisanterie surréaliste. Les très courts Préludes sans numéro d'Opus, écrits un an plus tôt (le musicien avait donc quinze ans !) sont au nombre de cinq. Ashkenazy les éclaire d'une touche délicate, suggérant la permanence du premier, le déroulé du deuxième, comme une pelote de laine qui roulerait au sol jusqu'à perdre nature et forme, un certain romantisme dramatique du troisième, évoquant dans un éternel questionnement le lyrisme tchaïkovskien dans un thème qui cependant ne parvient jamais à éclore tout à fait, pour finir dans une sorte de choral où il soigne un beau travail de sonorité.

On goûtera les délices d'une Valse Lyrique sucrée, futile et populaire, le mélodrame de la Pièce courte extraite de la musique du film Gadfy Op.97, mais on regrettera que la Danse espagnole tirée de la même source ne soit pas jouée plus rapidement. Puis Vladimir Ashkenazy donne le Nocturne du ballet Le fleuve clair de 1935 (Opus 39) avec un très grand art du phrasé qui nous le rend franchement chopinien, avec un je-ne-sais-quoi de désuet. Notés entre le 25 février et le 7 avril 1927, les insolents Aphorismes Op.13 arborent des titres qu'on ne prendra pas au pied de la lettre. Plus polie encore que la version qu'en gravait Konstantin Scherbakov chez Naxos il y a peu [lire notre critique du CD], celle d'Ashkenazy passe à côté de la moderne radicalité de ces pièces. On y admirera cependant la parfaite mécanique, implacable et chirurgicale, de l'Étude et de la Danse de Mort (plages 21 et 22), la sobriété quasi webernienne choisie pour le Canon (plage 23), et le grand souffle qui se déploie dans l'ultime page, Papillon.

Pour finir, presque en guise de Bis, pourrait-on dire, tant ce disque fait l'effet d'un récital, le pianiste offre l'acide et drolatique rengaine de la souriante Polka de l'Âge d'or Op.22.

BB