Chroniques

par françois-xavier ajavon

Dmitri Kabalevski
Concerti pour piano Op.9 n°1 – Op.23 n°2

1 CD Naxos (2006)
8.557683
Dmitri Kabalevski | Concerti  pour piano n°1 – n°2

Dmitri Borisovitch Kabalevski (1904-1987), l'un des plus créatifs compositeurs soviétiques de sa génération, n'a tristement pas percé en Occident. Seul son très sympathique poème symphonique Le Printemps Op.65 est parfois programmé par les orchestres européens ou américains, mais l'ensemble de son abondant catalogue n'est manifestement pas connu. Pourquoi donc ?

Cet apparent mépris occidental, pour un homo sovieticus bon teint, contemporain de Prokofiev, Chostakovitch et Khatchatourian, peut s'analyser, à défaut de s'expliquer rationnellement : Kabalevski n'est pas un génie mélodique impérissable ni un compositeur visionnaire, il ne laissera pas de chef-d'œuvre à l'histoire de la musique et, par ailleurs, collabora autant qu'il put à la propagande soviétique – notamment en composant de nombreuses œuvres aux thématiques héroïques : son grandiloquent Requiem à la mémoire des victimes de la Grande guerre patriotique ou encore Colas Breugnon, son opéra crypto-marxiste adapté de l'œuvre de Romain Rolland, autant de précieux trésors quasiment inécoutables par la plupart des profanes en matière de musique soviétique, qui ravissent quelques spécialistes d'un plaisir coupable, comparable à celui avec lequel on se regarde un film de série Z entre amis autour de boissons gazeuses houblonnées.

Cependant, ce léger snobisme occidental qui fait que Kabalevski ne soit pas régulièrement programmé, surtout à Paris, Berlin ou New-York, trahit une certaine injustice. Si son œuvre ne vaut certes pas celles d'un Prokofiev ou d'un Chostakovitch, elle mérite notre attention, principalement pour sa dimension pianistique que l'on néglige trop souvent alors qu'il s'agit avant tout du catalogue d'un pianiste virtuose. Ainsi, on retiendra les très sophistiquées Vingt-quatre Préludes Op.38, trois Sonates (Op.6, Op.45 et Op.46) ainsi que ses passionnants Concerti pour piano.

Publié par Naxos dans la collection 20th Century Russian, ce disque nous permet de prendre la mesure de tout le talent pianistique de Kabalevski dans le contexte de ses deux premiers concerti. À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Russie, Dimitri Jablonski propose une lecture analytique, précise autant que passionnée de ces opus.

Le Concertopour piano en la mineur Op.9 n°1 (1928) suinte de mille références : on y entend ça et là Rachmaninov, Ireland ou Miaskovski – qui fut le professeur de Kabalevski –, mais aussi le compositeur de Pierre et le loup. Malgré des contours résolument conventionnels, on reconnaîtra dans cette œuvre la présence de mélodies d'une extravagante vitalité, notamment dans le deuxième mouvement, Moderato, Allegro assai, qui regorge d'échanges poignants entre le piano et la masse orchestrale.

À l'évidence, le Concerto pour piano en sol mineur Op.23 n°2 (1935/1973) procède d'une autre logique. Dans cette seconde tentative concertante pour piano, Kabalevski s'arrache à son référentiel prestigieux de prédécesseurs illustres et ose la narration intérieure, le récit de soi. Le résultat est évidemment plein de bruit et de fureur : c'est un flot furieux et imprécis. Mais que demander de plus à un compositeur plein de talent qui dépasse tout juste la trentaine, qui plus est dans le contexte soviétique? L'Andantino semplice, deuxième mouvement, recèle tout simplement l'une des plus belles mélodies russes du XXe siècle, justifiant à elle seule l'achat de cette galette. Kabalevski parvient à tirer tout le parti lyrique et grandiloquent de cette confrontation incongrue d'un piano et d'un orchestre symphonique, d'un instrument si solitaire à cordes frappées et d'une pléiade incompréhensive de sonneurs menaçants à cordes frottées.

Ce CD s'impose dans toutes les discographies (un peu datées) qui ne sont pas encore pourvues de la vielle intégrale Olympia – Emil Gilels, Nikolaï Petrov, Anatoli Cheloudiakov au piano, et notamment Kitaenko et Kabalevski au pupitre). Sous les doigts d’In Ju Bang, il s'agit d'une intégrale moderne, captée au format digital DDD, qui ne pourra que satisfaire les mélomanes passionnés de musique du XXe siècle. La notice-livret n'est pas traduite en français.

FXA