Chroniques

par bertrand bolognesi

Domenico Scarlatti
sonates pour piano

1 CD Bis (2005)
1508
Domenico Scarlatti | sonates pour piano

À vingt-cinq ans, le Pétersbourgeois Evgueni Sudbin a déjà entamé une carrière enviable, se produisant avec de prestigieux orchestres et en récital, dans de nombreux festivals et partout en Europe. Élève de Liubov Pevsner dans sa ville natale jusqu'à l'âge de dix ans, il irait étudier à Berlin, avant de s'installer en 1997 à Londres où il suit encore aujourd'hui les leçons de Christopher Elton à la Royal Academy of Music. Fréquentant l'extraordinaire pépinière de pianistes du Lac de Côme, il prend conseil auprès de grands pédagogues, tels Fou Ts'ong, Dmitri Bashkirov, Leon Fleisher et Stephen Hough.

Avec ce disque entièrement consacré à des sonates de Domenico Scarlatti, Evgueni Sudbin révèle de grandes qualités, sans pour autant convaincre véritablement l'auditeur de l'intérêt de ses interprétations. On prendra certes plaisir à goûter son grand art de la nuance, son ornementation un rien détachée – comme dans la Sonate en fa mineur K 466 qu'il livre dans une belle méditation, avec une vraie pensée musicale cohérente et suivie de bout en bout –, une articulation souvent discrète – la Sonate en la mineur K 57 qu'un grand souffle vient porter –, sa stupéfiante agilité – Sonates en sol mineur K 30 et en sol majeur K 487 –, une expressivité parfois urgente – les Sonates en fa mineur K 365 et en si mineur K 27 – et une belle fluidité – Sonate en fa # mineur K 448.

Mais la musique de Scarlatti est tant exigeante qu'elle montre ici du doigt des maladresses gênantes. Ainsi, la main gauche s'avère-t-elle souvent trop lourde, brutalisant parfois la sonorité – Sonate en la bémol majeur K 545, manquant cruellement de subtilité – qu'une utilisation copieuse de la pédale renforce d'effets d'orgue malvenus – Sonate K 30. On notera également une fâcheuse tentative d'orchestration, dans la Sonate K 365, dans un répertoire qui ne saurait le supporter. De même certaines fins sont elles particulièrement heurtées – Sonates K 487, K 489, K 427, le moins satisfaisant restant la dernière plage du disque, soit la Sonate en la majeur K 24, jouée sans esprit, avec une tentative de théâtralisation peut-être louable, mais dans une approche violemment brutale.

Toutefois, à un manque certain de fantaisie, de caprice et de cette grave préciosité qui font les délices de cette musique, le jeune homme oppose quelques belles réussites, comme la Sonate en sol mineur K 246 où il cisèle et dessine son expressivité dans le respect du style baroque tardif et déjà préclassique, la Sonate en si mineur K 197 diablement équilibrée, consacrant la Sonate en sol mineur sans référence Kirkpatrick (plage 11) comme le plus beau moment de cette galette. Indéniablement, il y a là sensibilité et intelligence ; sans doute la maturité viendra-t-elle, d'ici quelques années, élever son abord de Scarlatti vers d'autres sphères.

BB