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Chroniques
Edvard Grieg
pièces pour piano
Les Pièces lyriques d'Edvard Grieg (1843-1907), soixante-six au total, ont été composées sur trois décennies. Le dixième et dernier volume, paru en 1901, complète ce que leur auteur présentait comme « une intime tranche de vie ». Elles rendent compte d'une tradition de la miniature romantique pour piano (Mendelssohn, Schumann, Chopin) de même que de l'évolution du compositeur norvégien à son contact. Grieg a souvent été moqué et même Debussy s'est laissé aller à un jugement rapide. Pourtant, on devra reconnaître que l'impressionnisme des Préludes est annoncé par ce talentueux miniaturiste, ce créateur discret de formes originales…
Simplicité et limpidité sont au cœur de ce recueil, sans doute grâce à l'utilisation de la valse, de la mélodie, de la romance. On y sent toute la sympathie du compositeur pour la musique populaire scandinave, son attachement aux différentes danses nationales de son pays. Ces diverses assimilations n'empêchent pas son propre langage harmonique de se singulariser ; le compositeur convenait, à la fin de sa vie, que nouveauté et originalité lui importaient moins que « la fidélité au sentiment ».
Interprète de vingt-quatre de ces Pièces, Leif Ove Andsnes confie : « J'ai beaucoup joué Grieg, dès mon enfance, pas seulement parce que je suis Norvégien, mais parce que très peu de compositeurs savent parler aussi directement au cœur, en particulier dans les pièces les plus modestes ». On imagine aisément l'émotion du pianiste lorsqu'il a pu enregistrer, au début de décembre 2001, dans le salon même du Maître. La maison de Troldhaugen est devenue un musée à sa mémoire (il y vécut de 1884 à 1907), qui héberge son propre piano, un Steinway (modèle B) de 1892. « Cet instrument possède un registre médian aux timbres chaleureux ainsi qu'un aigu transparent et cristallin convenant de manière idéale au caractère intime des Pièces lyriques. »
Ces qualités, on les goûte tout au long du programme de ce disque, permettant au pianiste une intime palette expressive compatible avec un vrai grand souffle. On trouvera un petit air de famille à certaines pièces avec le disque Schubert paru il y a peu, notamment pour l'Op.12 n°5. Par ailleurs, cet enregistrement nous remet en mémoire un fabuleux concert donné par Leif Ove Andsnes à Toulouse il y a quelques années, tant la sonorité et la nudité de certaines phrases élégiaques rappellent son interprétation de Scriabine. Citons, par exemple, le sombre et douloureux Mal du pays Op.57 n°6, dont l'exposition pourrait également être de Rachmaninov. La différence, c'est que Grieg ne développera pas du tout le même type de lyrisme que son contemporain russe ; au contraire, il propose un second thème délicat et élégant, majeur, qui contraste étonnement, avec retenue et pudeur, avant de glisser dans la mélancolie du début. Avec Soir dans les montagnes, le pianiste entretient le mystère d'une phrase tournante et comme suspendue, avant de se résoudre à entonner une sorte de mélopée rustique; on y reconnaît la pratique qu'il a de pièces de Liszt, et l'on aurait envie de l'entendre jouer un jour les Chants Magiques de Mompou. Délicatesse, précision, simplicité, tout cela se retrouve dans le désolé Passé Op.71 n°6.
Les Pièces lyriques de Grieg ne sont pas très présentes au disque. Un grand merci à Leif Ove Andsnes qui s'y adonne avec réussite.
HK