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Chroniques
Edvard Grieg – Gustav Mahler
mélodies avec orchestre
Avec Edvard Grieg, les trolls ne sont jamais très loin – on se souvient de leur marche endiablée sous les doigts de Leif Ove Andsnes [lire notre critique du CD] ! Dans Den Bergtekne Op.32 (Prisonnier de la montagne), un jeune homme perdu dans la forêt rencontre la fille de l'un d'eux qui l'ensorcelle, lui faisant perdre le sens de la réalité. Écrit à partir d'un poème folklorique, l'œuvre est créée à Copenhague le 5 avril 1879. « Avec cette pièce, confiait son créateur, j'ai l'impression d'avoir accompli l'une des rares bonnes actions de ma vie. » Toute de mystère, avec un recueillement dramatique qu'on retrouvera plus tard dans nombre d'œuvres religieuses de Poulenc, elle entraîne dès l'attaque l'auditeur dans un univers étrange sinon tourmenté.
Durant la même période, marqué par des crises existentielles et retirés dans les montagnes du Hardanger, Grieg découvre la poésie d’Aasmund Olavson Vinje. Homme de lettres norvégien (1818-1870), Vinje est un lien entre romantisme et réalisme. Son expérience très jeune de berger, d'instituteur itinérant scelle son attachement à la nature et à la ruralité. Il contribue ainsi à la défense de « la langue du pays » (landsmaal) qui, à partir de la deuxième moitié du siècle, allait devenir une des deux langues officielles de Norvège. Le printemps (Varen), la baie (Tytebaeret), le bord de l'eau (Langs ei A) sont célébrés ici. C'est le compositeur contemporain Ragnar Soderlind qui a orchestré ces mélodies intimistes, leur assurant un caractère plus majestueux. À la tête de l'Orchestre symphonique de Helsingborg depuis septembre 2002, le chef finlandais Hannu Lintu fait preuve d'un lyrisme retenu qui manque un peu de chaleur (dans cette première partie, en tous cas) mais qui, par là-même, laisse toute sa place à l'expressivité du chanteur.
Écrites à l'origine pour baryton et piano, les quatre mélodies du cycle Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) ont été orchestrées par Gustav Mahler lui-même, peu avant leur création à Berlin, le 16 mars 1896. Hormis le premier, inspiré par le recueil de poésie et de chants populaires Des Knaben Wunderhorn, les textes sont du musicien. Trahi par sa belle, le compagnon passe de l'apaisement au désespoir, de la passion à l'insouciance. Indéniablement, le baryton Herman Wallén s'est approprié ce cycle mythique, au point de nous déstabiliser. Si on peut regretter son chant hésitant et maniéré sur Wenn mein Schatz Hochzeit macht, on apprécie en revanche son côté mordant et sauvage sur les premiers couplets de Ich hab'ein glühend Messer qui réactive les mots douloureux du texte.
Né en 1978, fils de chanteurs d'opéra, Herman Wallén pratique très tôt plusieurs instruments et chante dans le chœur d'enfants de la cathédrale d'Helsinki. Adolescent, il travaille en Allemagne dans la classe du professeur Roland Hermann. Il y aborde le Lied, moyen idéal de développer les qualités d'une voix jeune – « à quinze ans, on ne chante pas Don Carlos », précise le baryton. Lauréat de plusieurs concours mondiaux, il a rejoint fin 2002 la troupe de la Komische Oper de Berlin, incarnant les personnages de Mozart, Rossini et Strauss. Le chanteur dispose effectivement d'une voix claire, puissante et souple qui convient bien à ce répertoire. Avec plus de métier, ne doutons pas de retrouver un jour cet artiste prometteur dans l'opéra russe ou allemand.
LB