Chroniques

par laurent bergnach

Edvard Grieg
mélodies

1 CD NMA (2003)
NMA 3
Edvard Grieg | mélodies

De son propre aveu, l'intérêt d'Edvard Grieg (1843-1907) pour le chant lyrique a pour origine la rencontre avec sa muse : « J'aimais une jeune femme à la voix merveilleuse et capable de donner une interprétation musicale tout aussi merveilleuse ». Nina Hagerup devint sa femme en 1867 et serait l'interprète privilégiée des quelques cent soixante-dix chants composés par le Norvégien.

En 1895, Grieg s'intéresse à Haugtussa, un recueil de son contemporain et compatriote Arne Garborg (1851-1924). Il est surpris par l'emploi d'une langue issue des dialectes ruraux et non plus du danois-norvégien officiel, ainsi que par le thème choisi par un poète qui vient de se rapprocher du catholicisme après avoir été libre penseur ; son cycle repose sur les notions du bien et du mal, et utilise pour cela la figure de Veslemoy, une bergère passant du ravissement amoureux à la déception, puis à la résignation. Délaissée par son amoureux, la jeune femme fuit les réalités de ce monde, se rapproche de la nature et se laisse aller à ses visions ésotériques. La mort sera au bout du chemin, comme chez le jeune meunier que fera chanter Schubert.

« C'est un livre génial, où la musique est déjà composée », conclura Grieg. Parmi les soixante et onze poèmes disponibles, il finit par en retenir huit. En guise de prélude à cet Op.67, on trouvera ici Ku-Lok, mélodie écartée du cycle final publié en 1899. Malgré un succès international, le compositeur demeura attristé de l'incompréhension de certains critiques, alors qu'il estimait avoir écrit là les plus beaux de ses chants. Mais l'enthousiasme de Garborg, décrivant une musique tour à tour douce, magique, séduisante, lui est heureusement acquis. Solveig Kringelborn a abordé le cycle au début des années quatre-vingt dix, d'abord avec réticence, puis avec le plaisir d'apporter de nouvelles nuances à chaque interprétation. Avec une voix aux aigus chatoyants – quoique parfois instables sur les pianissimi tenus –, des graves corsés, le soprano ne manque pas d'expressivité et communique une joie solaire à ces mélodies, loin des tons froids de la jaquette.

Autre poète, autre cycle : celui des Douze mélodies Op.33, d'après Aasmund Olavsson Vinje (1818-1870). Cet artiste, héritier du romantisme, défenseur de la langue du pays, fut rencontré à un moment où Grieg doutait de ses capacités créatrices. Là encore, même s'il renvoie souvent à une situation humaine, l'hommage à la nature servit d'inspiration et d'encouragement à persévérer. Si, à nouveau, certains airs sont servis avec beaucoup de caractère et d'éclat, la chanteuse en a sélectionné d'autres plus mélancoliques, qu'elle exprime avec douceur (Våren), avec une douleur digne (Millom Rosor) ou avec en usant d'une lamentation mordante à la Weill (Attegløyma). On attend donc avec impatience de la retrouver sur scène, au printemps prochain, dans la création du nouvel opéra de Kaija Saariaho. Quant à Malcolm Martineau qui l'accompagne, l'Écossais est à l'aise avec les nombreux scintillements et sautillements de la partition.

LB