Chroniques

par laurent bergnach

Edward Elgar
musique de chambre pour cordes – pièces pour piano

1 CD Hyperion (2011)
CDA 67857
Edward Elgar | musique de chambre pour cordes – etc.

Des dizaines de rues éponymes et du papier-monnaie à son effigie prouvent aujourd’hui la popularité d’Edward Elgar (1857-1934) dans son pays natal. Pourtant, le musicien né dans le petit village de Lower Broadheath cumule des particularités qui incitèrent ses contemporains à la méfiance : d’origine modeste et de confession catholique – exprimée dans l’oratorio The Dream of Gerontius (1900) –, il fréquente soudain la classe aisée de l’Angleterre victorienne suite à son mariage avec une fille d’officier supérieur, et s’expose à un milieu musical pétri d’universitaires qui l’appréhende avec dédain. De plus, son influence artistique n’est pas locale (« des pièces de musée », dira-t-il) mais regarde vers l’Europe (Händel, Schumann, Dvořák, Brahms, Wagner, Berlioz, Delibes, etc.), d’où une ambition universelle qui recueille l’admiration de Stravinsky, Sibelius, Strauss ou encore Vaughan Williams. La conquête de la reconnaissance est donc une lutte de longue haleine, avec comme ultime étape, dans les années vingt, l’enregistrement de ses partitions sous sa propre direction.

« La musique m’a été enseignée pour la première fois dans la cathédrale de Worcester […], se souvient le musicien,par des livres que j’ai empruntés à la bibliothèque musicale alors que j’avais sept, huit ou neuf ans ». Bien qu’élevé à la campagne, Elgar développe ses talents, encouragé par une mère sensible à la littérature, et par son père qui l’emmène parfois dans les maisons où il accorde le piano. L’apprentissage de ce dernier arrive tout naturellement, comme l’initiation au violon puis à l’orgue. Professeurs locaux, lecture de manuels et cours épisodiques à Londres constituent une formation hétérogène jusqu’à ce qu’il se produise, autour de la vingtaine, comme violoniste, organiste, chef d’orchestre et enseignant. Comme compositeur, il s’exprime déjà depuis une dizaine d’années.

Si l’on évoque le legs elgarien, on pensera concerto (ceux pour violoncelle ou pour violon), symphonie (Enigma Variations, 1899), oratorio (The Kingdom, 1906), ballet (The Sanguine Fan, 1917), chœurs (The Snow, 1895), musique de scène pour une pièce de théâtre pour enfant (The Starlight Express, 1915) et peut-être même hymne à la gloire d’un club sportif ; parions que la musique de chambre tarderait à être évoquée. Pourtant, liée tout d’abord à sa formation d’artiste puis à une période de convalescence au sortir de cette Première Guerre mondiale consacrée à des pièces patriotiques et de circonstance, celle-ci ne manque pas d’intérêt, comme le prouve cet enregistrement qui participe de la redécouverte d’Elgar au XXIe siècle, confié au talentueux Goldner String Quartet – Dene Olding et Dimity Hall (violon), Irina Morozova (alto) et Julian Smiles (violoncelle) – qui préfère la tenue et la précision à la virtuosité.

Opéré des amygdales en mars 1918, Elgar se remet à la musique avec l’arrivée de l’été. « Je sais qu’elle ne nous fait pas avancer, écrit-il de cette dernière, mais elle regorge de sonorités dorées et je l’aime bien. Mais ne vous attendez pas à quoi que ce soit de violemment chromatique ou cubiste ». Le Quatuor à cordes en ré mineur Op.83 est achevé à la veille de Noël, sorte de renaissance de l’Opus 8 pour formation identique, détruit jadis. Dans un équilibre très précieux entre les instrumentistes et un romantisme passant de la mélancolie à l’exaltation, l’Allegro moderato fourmille de touches contrastées (expressivité d’un tango, chanson médiévale, etc.). Le Piacevole convoque finesse, fraicheur mais aussi inquiétude, dignes d’une mélodie russe. Enfin, l’Allegro molto bondissant et enlevé, avec un retour du lyrisme initial, ne manque ni de vivacité ni de relief.

En trois mouvements également, le Quintette avec piano en la mineur Op.84 est achevé dans les premières semaines de 1919. Après une introduction fragmentaire assez mystérieuse, dans une oscillation entre légèreté et profondeur, le Moderato–Allegro joue lui aussi sur le contraste (sécheresse, lyrisme, nervosité) et la variété de climats (violon tsigane, fête viennoise, cabaret moscovite, etc.). L’Adagio s’apparente à un pastiche brahmsien assez dépouillé, piqué d’emprunts passionnés à Tchaïkovski. L’Andante–Allegro offre un retour des climats du premier mouvement, dans un romantisme véhément.

« Le violon est mon instrument, pas le piano », confie Elgar qui laisse cependant un corpus conséquent de pièces pour ce dernier. Quatre d’entre elles s’intercalent entre les œuvres pour cordes : deux datent de 1887, Laura Valse dont la légèreté convient à l’atmosphère d’un salon et Marche en ré majeur qui permet d’apprécier les nuances de Piers Lane, et deux autres de 1932, d’abord Mina évoquant Satie et Chopin, puis un bref Impromptu mendelssohnien, composé à partir des initiales d’une secrétaire de la BBC, Miss Dales.

LB