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Chroniques
Egon Wellesz
Die Opferung des Gefangenen | Le sacrifice du prisonnier
Egon Wellesz naît à Vienne en 1885 et décède en 1974 à Londres, la ville où les nazis l’on contraint à l’exil à la fin des années trente (Anschluß). Le catalogue de cet élève de Guido Adler et d’Arnold Schönberg compte une centaine d’opus pour le salon, la fosse et la scène – soient neuf quatuors à cordes, autant de symphonies, de nombreux ballets et opéras, etc. Ces deux dernières catégories peuvent se mêler à l’occasion, comme c’est le cas pour Die Opferung des Gefangenen, créé à Cologne en avril 1926, le 2 ou le 10 du mois selon les sources.
Pour en saisir la genèse, revenons quelques années plus tôt. Entre 1918 et 1922, marqué par les convulsions de la Première Guerre mondiale, l’écrivain et historien de l’art Eduard Stucken (1865-1936) publie Les dieux blancs (Die weissen Götter), large fresque en quatre tomes qui décrit la chute de l’empire aztèque face au conquérant espagnol conduit par Cortéz (1519-1521). Pour Wellesz, Stucken est l’homme parfait pour résumer une des rares pièces de théâtre maya ayant survécu à la colonisation : il s’agit de Rabinal Achí, qui mêle drame et danse, dont l’argument est centré sur la querelle entre deux villes voisines. Elle fut écrite en k’iche’, langue que l’on peut encore entendre aujourd’hui au Guatemala, mais aussi dans Ecuatorial (1934), la pièce pour laquelle Varèse a puisé dans un texte mythologique bien connu, le Popol Vuh, une invocation aux dieux créateurs. La notice du CD propose un résumé de l’opus 40 de Wellesz par le musicologue et compositeur Hannes Heher sur lequel nous nous appuyons pour appréhender une intrigue somme toute assez frêle.
Après sa défaite au combat, un prince est emmené captif à la cour du roi des vainqueurs. Moqueur, ce dernier lui demande s’il est venu en son pays pour profiter des merveilleux fruits qu’on y cueille, revêtir ses vêtements royaux, partager une danse avec la belle princesse ou celle des aigles et des jaguars avec ses valeureux soldats. Conscient de sa mort prochaine et inévitable, le prince acquiesce à tout ceci. Le voilà emporté dans quatre danses expressives. Avec une cinquième, il dit adieu aux monts et vallées de son royaume, et marche vers l’autel du sacrifice, tandis que s’élèvent des lamentations, puis les hymnes célébrant le héros parti rejoindre ses ancêtres.
Enregistrée à la Konzerthaus de Vienne, le 24 mars 1995, cette rareté d’un peu moins d’une heure réjouit par la réunion de musiciens de talent, dont Friedrich Cerha à la tête de l’ÖRF Radio-Sinfonieorchester Wien et du Wiener Konzertchor. Trois solistes portent la parole du prince et du roi : Wolfgang Koch (Le commandant), baryton-basse ample et cuivré alors dans la plénitude de ses moyens [lire nos chroniques de Lohengrin, Palestrina, Fidelio, Die Frau ohne Schatten à Salzbourg et à Munich, Siegfried, Die Meistersinger von Nürnberg, Dantons Tod, Il trittico, Parsifal à Salzbourg, Berlin et Munich, Die Vögel et Die Teufel von Loudun], Robert Brooks (Le porteur de bouclier), aussi vaillant que lumineux, et Ivan Urbas (L’aîné du conseil), un rien fatigué.
En revanche, quelle déception du côté de la musique elle-même !
L’art de Wellesz, fonctionnel et pompier, offre une grandiloquence qui évoque d’emblée certains péplums de mauvais goût. Il faut préserver de notre critique les danses, lesquelles contrastent globalement avec un flux rythmique assommant de scansions et induisent que la vérité n’est pas dans la posture des gens de pouvoir. On peut également épargner un bref moment de lamentations confié à Hae-Seung Hwang (soprano) et à Patricia Dewey (alto). Malheureusement, ces quelques étincelles sont trop faibles pour faire rayonner l’œuvre entière.
LB