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Chroniques
Elliott Carter
œuvres pour piano
Fêtant cette année ses quatre-vingt quinze ans, le compositeur new-yorkais Elliott Carter, d’esthétique continentale, confronta son style à des courants différents. Ainsi repère-t-on dans sa carrière plusieurs périodes dont le présent enregistrement peut donner une idée. Il est parfois difficile d'associer un même auteur à la diversité d'œuvres comme le ballet Pocahontas et le Concerto pour piano, clavecin et orchestre, par exemple, ou encore les Songs et leConcerto pour hautbois. Carter a exploré toutes les formations possibles, a enrichi le répertoire d'œuvres solistes, écrivant aussi volontiers pour l'orchestre, les ensembles de chambre, le quatuor à cordes, le quintette à vents, le cor solo, la voix, et même l'opéra, avec What next ?, les timbales, et bien sûr le piano.
Les divers morceaux que nous propose le pianiste Winston Choi appartiennent à deux époques bien distinctes : d'un côté la Sonate pour piano qui date des années quarante et de l'autre, des pièces plus courtes, composées majoritairement dans les années quatre-vingt dix. Si la forme longue de la Sonate s'oppose à la miniature des pièces de circonstances (divertissement, hommage, etc.), si l’on remarque l'évolution du Carter de l'avant-garde américaine vers un style néo-classique (à l'instar d'un Stravinsky), on repère aisément les récurrences du fond. Complexité rythmique, superpositions de métriques, mise en avant du contrepoint... telles sont les préoccupations du compositeur – le but recherché étant la création d'un espace sonore. Qu'on ne s'y trompe pas : dans cette disparité apparente, le pianiste parvient à tracer un chemin cohérent.
Le livret de la présente production a la bonne idée de proposer les commentaires du compositeur sur son propre travail. Pour Two Diversions (1999), il explique la fabrication de ces deux courts morceaux :« le premier divertissement présente une ligne mélodique de notes en paires, des intervalles musicaux, qui restent au même tempo tout au long de la pièce, tandis que l'autre matériau sonore fait appel à des vitesses et à des caractères très variés. Le deuxième divertissement oppose deux lignes musicales, dont une se ralentit de plus en plus en même temps que l'autre s'accélère ».
De sa sonate pour piano, Piano Sonata (1945-46), qui commence et finit en si majeur, il dit qu'elle est « une confrontation entre cette tonalité et celle en la dièse mineur qui se poursuit durant toute la pièce ». Lenteur et sérieux du début, arpèges brillants du premier thème, fugue au centre... le compositeur a recours aux ressources et sonorités du piano contemporain. Cette sonate, en deux mouvements, a été revue en 1982.
En 1994, à l'occasion d'un anniversaire de Goffredo Petrassi, Elliott Carter compose 90+, « autour de quatre-vingt-dix notes courtes et accentuées jouées à un tempo lent et régulier. Le contexte se modifie sans cesse, alors que le fond ne change pas ».
Night Fantaisies date de 1980. « La pièce s'ouvre avec une évocation tranquille, sorte de nocturne qui est reprise ça et là ; elle est interrompue tout à coup par une série frivole de courtes phrases qui émergent et disparaissent. S'ensuit un nouvel épisode où l'on trouve des caractères et des intervalles très contrastés qui percent parfois le tissu sonore de façon très brusque ; à d'autres moments ils se développent sans heurt de ce qui les précède. La composition se termine par un accord très bruyant et accentué, répété périodiquement de façon obsédante, qui finit par s'évanouir pour marquer la conclusion de l'œuvre. » Climat et ambiance nocturne, changements et caprices d'une vie intérieure hors du désir, romantisme et poésie à la Schuman sont les éléments que Carter a voulu traduire dans cette partition d'une vingtaine de minutes.
Ami et admirateur de Pierre Boulez, Carter a déjà composé pour divers anniversaires Esprit Rude/Esprit Doux I et II. En 2000, pour ce bref Retrouvailles, il reprend le motif utilisé pour le premier et fait une allusion au second.
Winston Choi, jeune pianiste canadien d'une vingtaine d'années, offre une interprétation claire de ses pages. Avec une technique irréprochable, il se joue des traits parfois acrobatiques de 90+ comme de la vélocité perpétuelle du second mouvement de la Sonate. Il a réservé un son plus schönbergien pour les Retrouvailles qui ne sont pas sans rappeler l'agressivité salutaire du jeune Boulez. On pourra retrouver cet artiste au concert dans plusieurs villes françaises (Bourges, Chartres, Orléans, Blois, Tours...), en novembre et décembre prochains. Avec ce disque, L'Empreinte Digitale propose une fort intéressante intégrale de la musique pour piano de Carter qu'on écoutera par petits morceaux, à déguster de façon répétée.
HK