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Chroniques
Elliott Carter
musique de chambre (1994-2002)
Le Volume 5 des œuvres d’Elliott Carter, chez Bridge, propose des œuvres pour la plupart de courte durée et pour instrument solo, composées entre 1994 et 2002 par le vétéran des compositeurs américains.
Mis à part les Trois Poèmes de Robert Frost, œuvre de jeunesse, Of Challenge and of Love (1994) est l'unique cycle de chansons du compositeur pour voix et piano. Il a été écrit à la demande du soprano Lucy Shelton et du Festival d'Aldeburgh, la première ayant eu lieu le 23 juin 1995, avec John Constable au piano. Les textes de ces cinq chansons sont du poète John Hollander (né en 1926). Carter a une admiration durable pour l'œuvre de son compatriote, pour « ...ses habiletés poétiques, sa conscience de notre passé culturel et pour son expressivité moderne de haute envergure... ». Les poèmes ont été choisis pour la limpidité de leur style, leur signification allusive. Les images riches et fortes, toujours suggestives, contribuent à rendre l'ensemble métaphorique, si bien que la musique trouve l'espace nécessaire à exprimer ce que les mots ont pu taire. La partie de piano, extrêmement complexe par moments, très clairsemée ou fractionnaires par d'autres, n'est jamais qu'un simple accompagnement. Énigmatique, l'épilogue rappelle des éléments de l'ouverture, faisant de cette suite de lieder un cycle parfaitement cohérent. Ici, c'est Tony Arnold qui en donne une interprétation sensible, accompagnée par Jacob Greenberg.
Carter a déjà écrit pour le violoncelle – notamment Sonate, avec piano et Enchanted Preludes, avec flûte –, mais Figment n°1 (1994) est sa première création solo pour cet instrument. C'est Thomas Demenga, le commanditaire, qui crée l'œuvre le 8 mai 1995, œuvre présentant « ...une variété de contrastes, des moments dramatiques utilisant un matériau dérivé d'une idée musicale unique... ». Elle est jouée sur ce disque par Fred Sherry.
Two Diversions (1999) fut créé le 2 mars 2000 par le pianiste Kirill Gerstein, de l'École de Musique de Manhattan, que les Parisiens ont pu entendre avec plaisir cet hiver, au Théâtre du Châtelet [lire notre chronique du 7 février 2003]. Il s'agit de la contribution de Carter à une collection – The Carnegie Hall Millennium Piano Book – regroupant des commandes passées à dix compositeurs pour rendre compte des possibilités du piano d'aujourd'hui. Diversion I peut être considéré comme une ramification contemporaine de l'idée de passacaille ou de variations chorales. Quant à Diversion II, elle donne l'impression non seulement d'avancer à des vitesses différentes mais dans des directions contraires, comme une étude de rythme – rappelons à ce propos l'admiration du compositeur, depuis les années trente, pour le travail de Conlon Nancarrow. L'enregistrement a été effectué par le très estimé Charles Rosen, grand habitué de la musique de Carter, et qui a beaucoup œuvré pour le cause de la musique d'aujourd'hui.
Rolf Hind créa Retrouvailles le 26 mars 2000, à l'occasion des soixante-quinze ans de Pierre Boulez. Cette courte pièce pour piano reprend le leitmotiv de ces hommages précédents rendus au compositeur français : Esprit Rude/Esprit Doux I (1984), qui connut une version II en 1994. Elle apparaît comme une étude brève, contrastée, aux intervalles rapprochés ou plus grands allant du milieu aux extrêmes du clavier. Charles Rosen en donne une lecture d'une grande fidélité.
Oboe Quartet (2001) pour hautbois, violon, alto et violoncelle fut créé au Festival de Lucerne le 2 septembre. Carter connaît bien le hautbois qu'il a étudié dans sa jeunesse. C'est un vaste et unique mouvement, composé de plusieurs épisodes caractéristiques qui expose les différents instruments ensemble, en solo ou en duo. L'intérêt de l'œuvre réside dans l'équilibre trouvé entre ces différents moments et dans la fluidité générale. Les musiciens de Speculum Musicae servent avec engagement cette partition.
Hiyoku (2001), pour deux clarinettes, emprunte son titre à un terme poétique japonais qui signifie deux ailes – allusion à deux oiseaux portés par le vent, ou encore à deux personnes traversant la vie ensemble. Un duo pour deux instruments identiques implique en partie le même travail compositionnel qu'un duo traditionnel, mais le besoin de différentiation sera plus délicat dans certaines situations, lorsque les possibilités d'homogénéité sont plus nombreuses, par exemple. Pour cet enregistrement, les clarinettistes Charles Neidich et Ayako Oshima enchevêtrent leurs talents.
Steep Steps (2001) fut créé à New York, le 17 octobre, par l'ami clarinettiste de Carter, Virgil Blackwell, qui le grave ici. Avec ses successions agitées d'intervalles distants – de vrais bonds de géants parfois... – sur l'entière tessiture de l'instrument, cette pièce est un véritable morceau de bravoure de trois denses minutes.
Sous-titré En souvenir de M. Ives, Figment n°2 fut créé à New York le 2 décembre 2001 par Fred Sherry. Tout comme l'Invention n°1, c'est une pièce pour violoncelle solo, hommage rendu au compositeur aimé qui l'a encouragé à ses débuts. D'un caractère volontiers majestueux, proche de l'hymne à la façon de Charles Ives, elle incorpore deux citations du travail du Maître : Concord Piano Sonata et Hallowe'en.
À l'occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de Carter, en 1998, le chef-compositeur britannique Oliver Knussen lui dédie An Endless Melody, pièce pour violoncelle. En remerciement, Elliott Carter écrit Au Quai qui sera donné le 12 juin 2002, à l'occasion des cinquante ans de Knussen. C'est une courte pièce pour alto et basson, dont le titre-calembour joue avec les initiales du dédicataire et le terme OK (tout va bien). Peter Kolkay au basson et Maureen Gallagher à l'alto prêtent ici leur concours à un disque de raretés et découvertes d'un des dinosaures du XXe siècle.
HK