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Chroniques
Emmanuel Chabrier
œuvres pour orchestre
L’infatigable Neeme Järvi, directeur musical de l’Orchestre de la Suisse Romande depuis 2012, propose aujourd’hui une sélection de pages connues et d’autres moins fréquentées, constituant un programme particulièrement copieux (environ une heure et vingt minutes). Là où l’auditeur attend une atmosphère « impressionniste », faite de magie, de mystère, de charme et teintée d’humour, le grand chef estonien livre une musique d’honnête facture, certes, grâce aux qualités intrinsèques de la formation lémanique, mais par trop routinière.
Avec la frénésie qui le caractérise, Neeme Järvi a enregistré plus de quatre cent cinquante disques qui très souvent rencontrèrent la réussite. Ici, le résultat est décevant. Dès la Joyeuse marche qui ouvre le CD, le chef assène une battue assourdissante et effrénée, privant cette page brève et sympathique de la respiration et de la gaîté attendues. Dénuée d’une vraie conception, l’Ouverture de Gwendoline devient interminable et inutilement rutilante – un comble pour Chabrier (1841-1894) !Œuvre qui peut prêter à la facilité, España est interprétée de façon banale, avec effets garantis à la manière des grandes fêtes de la Waldbühne dont le chef est friand. Cette pièce qui devait « faire se lever et s’embrasser les personnes présentes dans le public », selon le compositeur, se voulait avant tout folklorique et sensuelle et non tonitruante et spectaculaire, comme c’est ici le cas.
Le Lamento n’a rien de mélancolique et, malgré un cor anglais très précis, reste inexpressif et ennuyeux, sans émotion. Page largement enregistrée, la Bourrée fantasque (orchestrée par Felix Mottl) souffre des mêmes défauts, avec des rythmes trop appuyés, à la limite de la caricature, où percussions et cymbales s’en donnent à cœur joie. C’est une bourrée, certes, mais pas une fête de la bière… Seules la Habanera et la Suite Pastorale retrouvent des accents tendres et secrets qui sauvent ce programme. À croire que nos Suisses ont encore en eux l’héritage du grand Ernest Ansermet, fondateur de l’orchestre genevois en 1918. Le grand chef enregistrait une version de référence de ces opus en 1964, dans un programme plus court qui, lui, reprenait les « tubes » de Chabrier.
Les longs compléments extraits de ses deux opéras L’Étoile et Le Roi malgré lui accusent une nouvelle fois les errements qui caractérisent cette anthologie : une conception bruyante et sans nuances, routinière et impersonnelle, au kilomètre. L’auditeur amoureux de notre compositeur oubliera vite ce disque et reviendra, sans hésiter, aux référencesque constituent les versions d’Ansermet et, surtout, de Michel Plasson, idéal avec son Capitole de Toulouse, pour une sélection presqu’exhaustive de ces œuvres.
MS