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Chroniques
Emmanuel Nunes
Écrits
Par l’autoportrait ou l’entretien, par la présentation d’une de ses pièces ou l’hommage rendu à un autre artiste, un créateur arrive à mieux faire connaître qui il est, d’où il vient et surtout où il va. Cette diversité d’expression structure le présent ouvrage qui propose une sélection de textes d’Emmanuel Nunes (1941-2012), riches en rigueur et vigueur, qu’a réunis et annotés Laurent Feneyrou. Philippe Albèra, son préfacier, y salue un homme courageux qui, sans laisser un handicap de naissance entraver son destin de compositeur, devint l’architecte de « ces présents stratifiés qui confèrent à sa musique sa transcendance et son contenu de vérité ».
Né à Lisbonne au début de la Seconde Guerre mondiale, Nunes étudie l’harmonie et le contrepoint à l’Académie de musique (1959-1963), tout en approchant la philologie germanique et la philosophie grecque à l’Université (1961-1963). Durant les Internationale Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt (1963-1965), les interventions Pousseur et Boulez marquent une étape importante de sa formation, tout comme l’analyse par Stockhausen de ses Momente, durant les années passées à la Rheinische Musikschule de Cologne (1965-1967), qui le féconde durablement – « c’est pour moi le caractère initiatique de la composition : créer une œuvre, c’est créer un organisme vivant ». À Paris où il poursuit ses études et obtient un Premier Prix en esthétique musicale (1971), le musicien entreprend un mémoire de doctorat sur Webern – une analyse de la Cantate Op.13 n°2, travail abandonné en 1973 dont des bribes sont présentées en annexe, à la suite d’autres textes inachevés, sur le peintre Kandinsky et le philosophe Husserl. Toujours à Paris, il débute des recherches exigeantes à l’Ircam et enseigne à son tour (1992).
Lorsque Nunes reçoit le Prix Pessoa dans sa ville natale, en 2000, il évoque quelques mots du poète national : « Ô temps figé en espace ». Ceux-ci ne sont pas choisis au hasard, car c’est en fréquentant le Coliseu dos Recreios depuis l’enfance, d’abord pour des spectacles de cirque, des rencontres de gymnastique puis des événements plus instructifs (concert classique, zarzuela, etc.), que le musicien réalise l’importance de l’espace dans l’art qu’il ambitionne de maîtriser (propagation, réverbération, etc.). C’est pour cette salle à l’acoustique pourtant perfectible qu’il écrit Quolibet (1991), à une époque où commence sa recherche sur la spatialisation du son à l’aide de l’ordinateur, avec un refus total du décoratif. La genèse de l’œuvre côtoie celle d’autres pièces de son catalogue, reproduites ici – Ruf (1977/1982), Nachtmusik I et II (1981/2003), Grund (1983), Wandlungen (1986/1992), Vislumbre (1986), Das Märchen (2008), La Douce (2009) –, dont certaines appartiennent au projet nommé La création. [lire nos chroniques du 28 septembre 2003, du 14 janvier 2010, du 26 mars 2013 et du 20 octobre 2017, ainsi que du CD Minnesang].
Le rôle central donné à l’espace par le compositeur ressurgit dans nombre des huit essais théoriques rassemblés au cœur du livre – dont le très explicite Temps et spatialité. En quête des lieux du temps –, mais encore dans plusieurs entretiens accordés entre 1992 et 2011. Il parle de la chance d’avoir pu entendre Quolibet dans près d’une vingtaine de salles différentes, de sa manie d’imaginer un interprète jouant dans chaque coin d’une église qu’il visite, ou encore d’une expérience avec trois récepteurs radio ouverts dans des pièces éloignées qui génère l’interrogation « qu’est-ce que j’écoute, qu’est-ce que je n’écoute pas ». Nunes parle aussi de la forme ouverte qui l’a mené à l’obsession spatiale, du bon usage des outils informatiques mais aussi de la re-connaissance en lien avec l’apprentissage. Terminons avec ce conseil donné à des étudiants, tel une boussole sur les chemins obscurs de toute création : « Il est plus important de savoir ce qu’on ne veut pas que ce qu’on veut. Si je sais pertinemment ce que je ne veux pas, je ne le ferai jamais ! »
LB