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Chroniques
Engelbert Humperdinck
Hänsel und Gretel | Jeannot et Margot
À l'origine de l'ouvrage d'Engelbert Humperdinck (1854-1921), il y a ce conte dont la version de Ludwig Bechstein (1801-1860) ne cache rien du désespoir d'une famille en proie à la misère – une famille parmi des millions d'autres, contemporaines des deux créateurs. Tout le premier acte est dominé par des sentiments et des comportements enfantins ayant la faim comme sujet principal, crûment dénoncée dès les vingt premiers vers – « Rien que du pain sec depuis des semaines / Quel malheur, sacrebleu, quelle misère noire ! » L'optimisme, l'insouciance et différentes méthodes de diversions n'y changent rien : la lucidité des enfants l'emporte, éclairant notamment les retranchements adoptés par les parents (agressivité ou alcoolisme). Au troisième acte, tout s'inverse puisque nous sommes dans la profusion de denrées au point que même la chair humaine devient nourriture – elle est connue depuis l'Antiquité, cette dévoration des fils par les pères.
Directrice dramaturgique à l'Anhaltisches Theater de Dessau où fut filmé cette production en 2007, Susanne Schulz résume justement l'ouvrage : « Hänsel und Gretel raconte la dureté de la vie et la manière qu'on les enfants d'assimiler cette réalité, en passant par l'idéalisation, le rêve, l'imagination et la créativité ». De fait, si les chamailleries et les jeux autour du travail obligatoire (la fabrication de balais) occupent les enfants au départ, leur rêverie les entraîne finalement non dans la forêt mais au cœur d'un foyer chaleureux et cossu où, préparant Noël, un père attentionné joue la sorcière pour les amuser. Originale et déstabilisante, la vision de Johannes Felsenstein met en relief, de façon tranchée, les travers de la société bourgeoise.
Hänsel und Gretel est présenté pour la première fois au Hoftheater de Weimar le 23 décembre 1893. Conçu d'après un livret de la sœur d'Humperdinck, Adelheid Wette, le singspiel initial à usage domestique se transforme finalement en opéra où se mêlent airs traditionnels (berceuse Suse, liebe Suse), citations (emprunt d'un air de 1843, Das Räthsel, qui trouve son origine au XIIIe siècle), influences de Wagner (début du premier acte), de Mahler (début du deuxième), de Strauss (phrase du Marchand de Sable) et, plus largement, du vérisme naissant. La distribution équilibrée nous fait entendre les voix ferme et sonore de Ludmil Kuntschew (le père), puissante d'Alexandra Petersamer (la mère), sainement sûre de Sabine Noack (leur fils) et, malheureusement, légère et tremblotante de Cornelia Marschall (leur fille).
LB