Chroniques

par laurent bergnach

Engelbert Humperdinck
Königskinder | Enfants de roi

1 coffret 3 CD Crystal Classics (2011)
N 67 044
Engelbert Humperdinck | Königskinder

Petit-fils de cantor dont la production reste en grande partie à (re)découvrir, Engelbert Humperdinck (1854-1921) a signé pas moins de quatorze opéras et Singspiele. Six d’entre eux appartiennent au genre du conte-opéra, avec en tête le célèbre Hänsel und Gretel, présenté pour la première fois à Weimar en 1893 [lire notre critique du DVD]. Par bien des aspects s’en rapproche Königskinder (Enfants de roi, ou Enfants-Rois, si l’on se reporte au titre d’une version française présentée à Bruxelles en 1912) puisqu’il propose lui aussi de suivre les étapes initiatiques d’un couple confronté à une incarnation maléfique.

Présente dès le début de l’œuvre, une sorcière retient à son service une orpheline de naissance royale, faisant office de Grand-mère pour la gardeuse d’oies. Tandis que la jeune fille se désespère de sa solitude – « Ach, Ich bin allein ! », par deux fois dans le même air –, elle rencontre un fils de roi qu’elle questionne sur sa vie comme sur le monde extérieur – « Hast du Mut ? […] Was ist ein König ? ». Ils se séparent après un baiser. Surviennent alors un joueur de vielle (Spielmann), un bûcheron (Holzhacker) et un fabricant de balai (Besenbinder) par qui on apprend que celui qui franchira à midi, le lendemain, les portes de la cité d’Hellabrunn en deviendra le roi. C’est la gardeuse d’oies qui s’y présente, accueillie par son prince revêtu des haillons d’un porcher. Mais la foule ne les reconnaît pas comme leurs souverains et les chasse de la ville. Loin du but consolateur d’un vrai conte populaire, le troisième acte réserve une fin bien triste aux amoureux : au terme d’une errance dans la forêt, et bien que la sorcière ait péri brûlée, ils s’empoisonnent avec un pain magique que la gardeuse d’oie avait autrefois confectionnée sur ordre de sa Grand-mère.

Sous son pseudonyme d’Ernst Rosmer, Elsa Bernstein-Porges signe un livret (ici non traduit) aux épisodes surprenants – tel celui où la fille de l’aubergiste gifle le bel indifférent. Wagnériens convaincus, son père Heinrich Porges et Humperdinck se connaissent bien, notamment pour avoir assisté le chef Hermann Levi durant les préparatifs de Parsifal, à Bayreuth – soixante ans plus tard, Winifred Wagner interviendrait d’ailleurs pour sauver Elsa d’une mort très probable à Terezín. C’est donc assez naturellement qu’Humperdinck livre une musique de scène à la pièce Königskinder en 1897, avant d’en tirer un opéra en trois actes composé entre 1907 et 1910, puis créé au Metropolitain (New York), le 28 décembre 1910.

Disponible à quelques semaines de Noël, cet enregistrement réalisé en décembre 2008 compense l’absence de l’ouvrage sur nos scènes pour son centenaire par sa distribution de premier choix. Vaillante et charnelle, Juliane Banse (Gänsenmagd) forme un couple parfait avec Klaus Florian Vogt (Königssohn), à la voix comme toujours claire, juvénile et incisive. Christian Gerhaher incarne un vielleux ferme et bien impacté, Stephan Rügamer un fabricant de balai tendrement tonique et Andreas Hörl un bucheron bourru. La sorcière, quant à elle, profite du vibrato sur-expressif de Gabriele Schnaut. Citons enfin Manuela Bress, servante d’écurie vive et présente, Jacquelyn Wagner, fille d’hôtelier dont la puissance s’impose au besoin et Ante Jerkunica, basse efficace, en père de la précédente.

À l’écoute de cet ouvrage dont l’acte médian contrebalance les scènes intimes par une atmosphère citadine riche en personnages secondaires et ensembles, on pense souvent à Wagner, bien sûr – et immanquablement à Tristan en début d’Acte III –, mais aussi à Strauss et Bruckner. Les beautés de la partition sont rendues avec une présence nuancée par l’alerte Ingo Metzmacher à la tête du Deutsches Symphonie Orchester Berlin, aux soli plein d’élégance, que flanquent les Rundfunkchor Berlin et Berliner Mädchenchor. L’originalité de ce projet musicalement soigné mérite bien une Anaclase ! en récompense.

LB