Chroniques

par laurent bergnach

Erich Wolfgang Korngold
Die tote Stadt | La ville morte

1 DVD Dynamic (2011)
33625
Die tote Stadt, opéra de Korngold filmé au Teatro La Fenice en janvier 2009

Plusieurs proches ont témoigné de la précocité musicale de Korngold (1897-1957). Critique influent du prestigieux quotidien viennois Neue freie Presse – quoiqu’« un aussi grand idiot que les autres », selon Berg –, Julius Korngold s’amuse tout d’abord des aptitudes de son second fils et confie : « Ma femme et moi le prîmes à la plaisanterie quand le petit Erich, alors âgé de trois ans et plein de ferveur, battait la mesure avec une cuillère en bois. Nous plaisantions encore quand, âgé de cinq ans, il pianotait des mélodies de Don Juan ». Quant à Luise (Luzi) von Sonnenthal, future épouse du compositeur, elle écrit : « Il put un jour – à l’âge de huit ans – assister à une répétition de La flûte enchantéesous la direction de Mahler. […] Il pouvait se rappeler de toutes les spécificités de la répétition, des tempi de Mahler, de ses remarques aux chanteurs » (in Nicolas Derny, Erich Wolfgang Korngold, Éditions Papillon, 2008) [lire notre critique de l'ouvrage].

En se qui concerne la composition proprement dite, l’élève de Zemlinsky livre une pantomime (Der Schneemann, 1910), puis deux opéras en un acte (Der Ring des Polykrates et Violanta, créé tous deux le 28 mars 1916) avant de s’attaquer à l’écriture de Die tote Stadt – d’après le roman Bruges-la-Morte du Belge Georges Rodenbach qui inspire son livret à Paul Schott, un pseudonyme derrière lequel se cachent Julius et son fils. Ce dernier ayant donné le meilleur de lui-même avant la trentaine, dans une époque entre romantisme et sérialisme, ces trois actes créés simultanément à Hambourg et Cologne le 4 décembre 1920 restent à jamais son chef-d’œuvre, régulièrement monté depuis sa découverte à Vienne, New York (1921), Prague, Zurich, Munich (1922), Anvers (1923), Berlin (1924), etc.

Après Arthaus Musik voilà dix ans [lire notre critique du DVD], c’est au tour de Dynamic de proposer une version qui mérite l’attention. Filmée au Teatro La Fenice (Venise) les 29 et 31 janvier 2009, la mise en scène de l’incontournable Pier Luigi Pizzi respecte le caractère mi-symboliste mi-expressionniste qui imprègne un ouvrage entre réalité et imaginaire. Les immenses miroirs inclinés en fond de scène reflètent les fêtes païennes et religieuses qui se déroulent les pieds dans l’eau (celle du Styx ?), derrière l’appartement de Paul – deux manières d’envisager l’existence. Le portrait photographique en pied de la défunte la rend particulièrement présente et renforce l’aspect fantastique de l’ouvrage.

Composant un personnage crédible sans appuyer la fixation névrotique, Stefan Vinke (Paul) apparaît d’abord instable et son aigu heurté. Mais tout s’améliore rapidement. S’il possède la vaillance nécessaire à cette partition exigence, le ténor ose également des notes plus douces, en particulier avec une voix de tête magnifique, sur le fil. Soprano fiable au legato onctueux, voire soyeux, Solveig Kringelborn (Marietta) nous amuse en fille vulgaire mais attachante. Christa Mayer (Brigitta) propose également une incarnation réussie : outre un chant coloré et infaillible, sa nature de timbre lui épargne de surjouer le dévouement. Stephan Genz (Frank/Fritz) déçoit par un chant tremblé, terne et assez maniéré, tandis que Shi Yijie (Victorin) séduit par son impact. En fosse, Eliahu Inbal dirige l’orchestre maison avec rondeur.

LB