Chroniques

par laurent bergnach

Erik Chisholm
Simoon | Simoun

1 CD Delphian (2016)
DCD 34139
Simoon, un opéra en un acte signé Erik Chisholm (1904-1965)

Pionnier d’un théâtre moderne entre naturalisme et expressionnisme, August Strindberg (1849-1912) semble trouver matière à ses nombreux drames dans une vie houleuse. Enfant perturbé par de nombreux déménagements, c’est au seuil de l’adolescence qu’il voit mourir sa mère frappée de tuberculose et son père convoler avec la gouvernante. Adulte, il se marie puis divorce à trois reprises – la seconde épouse, Frida Uhl, fut maîtresse de Wedekind et zélatrice du Pierrot lunaire. Pourtant, dans la préface de son huis clos le plus connu, Mademoiselle Julie (1889), le Stockholmois confie trouver une joie de vivre dans les luttes fortes et cruelles de la vie, et précise :

« L’âme de mes personnages (leur caractère) est un conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d’hommes, des lambeaux de vêtements du dimanche devenus haillons, tout comme l’âme elle-même est un assemblage de pièces de toutes sortes… ».

Plusieurs décennies avant Aribert Reimann (1984) et Philippe Boesmans (2005) [lire nos critiques des DVD Die Gespenstersonate et Julie], un musicien s’intéressait déjà à l'écrivain. Il s’agit d’Erik Chisholm (1904-1965), natif de Glasgow venu à la musique par l’étude de l’orgue et du piano – son professeur, l’Ukrainien Leff Pouishnoff, vante « une intelligence fine et remarquablement développée » –, qui nous laisse une centaines d’opus souvent influencés par l’Europe de l’Est (Bartók, en priorité, mais aussi Szymanowski et Janáček, aux opéras duquel il consacre un ouvrage).

L’intrigue de Simoun (1889) se situe dans une Algérie où souffle ce vent sec et violent qui donne son nom à l’ouvrage. On y découvre Youssef amoureux de Biskra, laquelle souhaite venger la mort du guide Ali causée par des légionnaires français. Essentiellement psychologiques, les représailles consisteront à torturer Guimard par des hallucinations cruelles : une épouse infidèle, la trahison d’un ami et le décès d’un fils.

L’opéra de moins d’une heure qu’en tire Chisholm appartient à la trilogie Murder in three keys, présentée à New York le 6 juillet 1954 dans une version pour deux pianos. Grâce au tout premier enregistrement de cette œuvre en un acte, on peut découvrir le petit orchestre original riche en sonorités propres à polir un climat mystérieux et sensuel (harmonium, célesta, glockenspiel, cloches tubes, etc.).

Enregistrée le 8 juin 2015 aux Western Baths (Glasgow), l’œuvre est introduite par une prolifération cyclonique, puis installe une tension rappelant Lulu (Berg). En effet, la wagnérienne Jane Irwin (Biskra) fulmine sans faillir face au ténor Philip Sheffield (Yusuf), rond et nuancé. La suite offre un soprano plus contrasté, tissant sa toile autour de Damian Thantrey (Guimard), baryton sain et ferme, familier du XXe siècle britannique – A night at the chinese opera (Weir), Anna Nicole (Turnage), Death in Venice (Britten) [lire notre chronique du 23 février 2005]. À la tête de l’orchestre Music Co-OPERAtive Scotland, Ian Ryan ne fait pas honte à cet événement, lui non plus.

LB