Chroniques

par bertrand bolognesi

Ernst von Pidde
L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner à la lumière du droit pénal allemand

Fayard (2013) 114 pages
ISBN 978-2-213-67818-4
L’Anneau du Nibelung de Wagner à la lumière du droit pénal allemand

Il naquit en Basse-Saxe en 1877 où il s’éteignit quatre-vingt neuf ans plus tard. Dans l’intervalle, il fit carrière de juriste. Parce qu’il avait fermement critiqué plus qu’à son tour l’œuvre de Richard Wagner, les autorités nationale-socialistes, copieusement wagnerolâtres, destituèrent le juge Ernst von Pidde de sa fonction. C’est après qu’un parent en ait trouvé le manuscrit dans ses archives personnelles que son étonnant Richard Wagners Ring des Nibelungen im Lichte des Strafrechts deutschen fut édité une première fois, en 1968 (le texte lui-même date de 1933). S’appuyant sur la révision effectuée plus récemment afin qu’elle correspondît non seulement aux lois de son temps mais à celles d’aujourd’hui, parue à Munich chez Ullstein il y a dix ans, Mathilde et Jean-Pierre Burgart ont traduit L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner à la lumière du droit pénal allemand pour Fayard.

Ainsi pouvons découvrir, en cette année de bicentenaire largement arrosée de publications honorables, un livre d’une irrésistible puissance comique dont le sujet est de parcourir chacun des ouvrages lyriques du compositeur pour en pointer les forfaits à s’y perpétrer. Encore y précise-t-on le risque encouru par chaque coupable, la probable « réparation » – comme le disent les ancestrales Sagas du Nord –, la condamnation certaine ! Le plus amusant réside dans l’absurdité de principe à prétendre analyser la criante culpabilité de protagonistes imaginaires comme si les univers où ils évoluent – c’est-à-dire les scènes du monde où les incarnent de nombreux chanteurs – n’étaient pas de carton-pâte. Après un bref passage en revue des opéras de Wagner, le prétendu Ernst von Pidde s’attelle au Ring dont il présente un bref résumé de chaque épisode, souvent à l’emporte-pièce, au risque de quelques imprécisions et inexactitudes parfaitement pratiques pour rendre crédible le développement à suivre.

Outre une délicieuse liste de crimes qui à elle seule suffit à provoquer le rire, de nombreuses réflexions subalternes viennent soutenir une lecture bien souvent hilare (ainsi la digression sur les criminels de petite taille, leur cruauté supposée, leur appétit sexuel avéré, etc.). De fait, c’est bel et bien en se secouant les côtes qu’on appréhendera cet essai de fumeuse composition (« il ne s’agit pas non plus de braconnage, les dragons ne constituant pas un gibier au sens du § 292 du code pénal » – hurlons !), incroyable méli-mélo d’interprétations juridiques et de sentimentalisme romanesque qui prête aux dieux une appartenance à une classe sociale, s’attarde à la pyromanie de Wotan, tout en jaugeant le degré de culture de chaque gosier – « on ne saurait tirer une indication probante du fait que, changé en reptile, Fafner n’en continue pas moins à parler le haut-allemand »…

« Prétendu », disions-nous plus haut : c’est qu’il y a lieu de s’interroger quant à l’origine de cet écrit parodique au ton sensiblement névrosé. Ernst von Pidde a-t-il réellement existé ? Décidez-en vous-même, au terme d’un moment de pur rafraîchissement.

BB