Chroniques

par anne bluet

Fanny Mendelssohn-Hensel
L'année

1 CD Sony Classical (2007)
88697030162
Fanny Mendelssohn-Hensel | L'année

Quoi de plus injuste que l'ombre portée par l'œuvre de Félix Mendelssohn sur la musique de sa sœur Fanny ? Lorsqu'on constate chaque jour le mépris phallocratique omniprésent dans plus d'un abus de langage, sans parler d'affrontements, comme ceux de l'actualité politique de tous bords, on ne s'étonnera guère qu'une compositrice du XIXe siècle soit encore et avant perçue pour sa qualité ce femme plutôt que d'artiste…

Qu'entendons-nous, cependant, grâce à ce fort beau disque de la pianiste lettone Lauma Skride ? Osera-t-on, de bonne foi, parler d'une facture mineure à propos de cette Année écrite en 1841 ? Alors qu'il est bien admis, aujourd'hui, qu'une existence de femme ne se borne pas à élever ses enfants et faire des confitures, il semble bien que la sphère musicale n'ait pas plus envie de se pencher sur les créations de Fanny Mendelssohn-Hensel que ses parents n'eurent de plaisir à la savoir bonne musicienne promise à une carrière qu'ils s'ingénièrent à étouffer dans l'œuf.

Janvier s'impose par un phrasé lisztien, s'installant, dans cet enregistrement, sans effets de manches. Balisé avec délicatesse, le contrepoint s'y montre discrètement mélancolique, dans une sonorité précise mais jamais froide. Pas de sur-pédalisation grossière pour Février, sourire aux lèvres jusqu'à ce qu'y surgisse une ombre résolue par une pirouette de carnaval. La nuance est plus subtile encore pour Mars, souvenir de Bach, en outre, qu'on imaginerait moins forcément articulé, plus coulé dans le moelleux d'un son un rien flûté, par exemple. Affaire de choix et de goûts, cela dit… Charmante roucoulade d'Avril, bientôt adolescente course folle, élégante chanson de Mai, Juin mariant les manières de Chopin et de Schumann : rougira-t-on d'un si frais printemps ?

L'été survient dans une demi-teinte presque funèbre, avec unJuillet grave auquel succède la danse brillante et beethovenienne d'Août, bucolique et cordiale. Lauma Skride reste sagement mesurée, sans élan trop échevelé, dans la variation. Elle différencie strictement le chant du motif d'accompagnement de Septembre, sans faire de manières. La nuance est bien conduite, l'unité de l'approche générale d'une grande cohérence, contenant une tourmente souterraine. Pour mordre franchement le clavier d'Octobre, surenchérissant la superbe des notes piquées, la jeune pianiste n'en chante pas moins la morne cantilène de Novembre, sautillant sagement dans le froid gentiment joyeux de Décembre, décidément sans engelures ! L'Épilogue confirme l'imagination d'une artiste affirmant une personnalité bien à elle.

AB