Chroniques

par laurent bergnach

Ferenc Farkas
pièces avec violoncelle

1 CD Toccata Classics (2016)
TOCC 0345
Miklós Perényi dans huit pièces avec violoncelle de Ferenc Farkas

« La création d'un compositeur est un large concept, surtout pour moi, qui ai œuvré dans divers domaines de la musique – des œuvres scéniques, vocales et symphoniques à la musique de film – sans que ce soit toujours un choix personnel. J'ai même été assez audacieux pour m’aventurer dans les paysages séduisants de la musique dite légère. Le destin a voulu qu’après avoir travaillé comme pianiste, accompagnateur, chef de chœur et chef d'orchestre, je sois devenu professeur. »

Le 22 mai 1967, à l’Österreichische Gesellschaft für Musik (Vienne), Ferenc Farkas (1905-2000) donne une conférence intitulée À l’ombre de Bartók, offrant de mieux connaître la Hongrie et lui-même. Celui qui mit en musique l’histoire de Vidróczki, bandit au grand cœur des montagnes de Mátra (1963), y raconte son entrée à l’Académie Liszt de Budapest (1922), l’enthousiasme des étudiants pour les créations de Bartók et Kodály, en lien avec une musique populaire meurtrie par cent cinquante ans de présence ottomane (1526-1683). Pourtant, il sent là un « maniérisme superficiel » dont il veut s’éloigner – même s’il collecte, à son tour, des chants paysans. Un passage des Ballets russes lui fait découvrir Les Six, puis un séjour romain (1929-1931) le Novecento italien, sous l’égide de Respighi. À Vienne, en 1956, il applaudit la première de Der Sturm de Frank Martin. En 1959, il insiste pour qu’un quatuor de son élève Kurtág figure au programme d’un concert. Revendiquant une personnalité nourrie par des influences variées, Farkas cite Stravinsky et Honegger chez qui « monumentalité et humour ludique, opérettes et drames bibliques, musiques de film et oratorios se côtoient ».

Parmi les sept cents titres de son catalogue, intéressons-nous à sa musique de chambre avec violoncelle, dont Toccata Classics sort aujourd’hui le premier volume d’une intégrale. Unique solo d’un programme de huit pièces – dont plus de la moitié inédite au disque –, la Sonate (1932) marque le retour de Rome à Budapest et la recherche d’un style personnel. Mise à part la longueur, on peut y voir une parenté avec l’opus 8 de Kodály (1915).

Les duos avec piano sont ici majoritaires, introduisant un expert de la musique chambriste hongroise : Dénes Várjon [lire notre chronique du 18 novembre 2011 et notre critique du CD Sándor Veress]. Mouvement lent d’une sonate pour alto égarée, Arioso (1926) est le fruit d’un étudiant romantique qui va ensuite explorer le folklore, donnant naissance au bondissant Alla danza ungherese n°2 (1934) et à Folksong Sonatina (1955), dont les trois parties contrastent. All’antica (1962) est une tentative néo-classique proche du style baroque, où se mesure une fois encore la virtuosité de Miklós Perényi dans la fréquentation de ses contemporains – tels Lutosławski et Ligeti [lire notre chronique du 27 février 2013 et notre critique du CD]. Poignante et passionnée, Ballade (1963) donne un aperçu de Farkas expressionniste. Quant à lui, Quattro pezzi (1965) favorise une recherche rythmique, évolution de pages que le créateur destinait à son fils András alors attaché à l’étude de la contrebasse.

Terminons ce repas musical avec Gyümölcskovár (Panier de fruits, 1946) !
Le poète Sándor Weöres inspire avec récurrence ses compatriotes – Kodály, Ligeti, Eötvös [lire notre critique du CD Atlantis]. Farkas n’y échappe pas, livrant un cycle de douze mélodies pleines de délicatesse, d’humour et de grotesque, destinées aux adultes comme aux enfants. Le clarinettiste Lajos Rozmán et Kristóf Baráti, « un génie absolu du violon » [lire notre chronique du 28 mai 2016], joignent leur talent aux musiciens déjà cités, tandis que le mezzo de Lúcia Megyesi Schwartz s’impose, impérial.

LB