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Chroniques
Fernande Decruck
quatuors de saxophones
Depuis bientôt deux décennies – il s’est constitué à Nantes en 2004 –, le Quatuor Ellipsos défend un répertoire original mêlant arrangements et créations [lire notre critique du CD Boléro]. Aujourd’hui, Paul-Fathi Lacombe (saxophone soprano), Julien Bréchet (saxophone alto), Sylvain Jarry (saxophone ténor) et Nicolas Herrouët (saxophone baryton) choisissent d’enregistrer six œuvres signées Fernande Decruck (1896-1954).
Native de Gaillac (Tarn), celle-ci commence des études musicales à Toulouse avant de gagner Paris à la fin de la guerre (1918). Elle y remporte plusieurs premiers prix (harmonie, fugue, accompagnement au piano) et forme à son tour des élèves, en tant que répétitrice de la classe d’harmonie de Jean Gallon (1923). La compositrice se marie avec Maurice (1924), clarinettiste et contrebassiste qui lui transmet son goût pour le saxophone, instrument qu’il joua jadis au sein d’un orchestre populaire pour financer ses études. Après quelques années d’une carrière nord-américaine que lui valut son talent d’improvisatrice à l’orgue, elle revient en France où son époux fonde Les Éditions de Paris (1932). C’est ainsi que sont publiées les premières pièces pour saxophone de Fernande. Cependant, sa mort prématurée laisse en jachère nombre de manuscrits, dont les quatuors de cet album, récupérés dans la maison familiale, près de Fontainebleau. Conçus pour la plupart entre 1933 et 1943, ils existent souvent dans d’autres combinaisons instrumentales (trio d’anches, quatuor de cors, etc.).
Avec Pavane qui ouvre le programme, d’emblée nous avons une illustration de ce que le chef d’orchestre et musicologue Matthew Aubin – LE spécialiste de l’artiste – écrit sur Decruck : « sa musique est typiquement française et souvent empreinte de mélancolie » (notice). Ajoutons qu’on y décèle aussi une maîtrise admirable de l’écriture. Dix ans plus tard, les huit études formant Saxophonescas confirment le creuset hexagonal (Debussy, Fauré) tout en témoignant d’une ouverture sur le monde (Janáček, blues, etc.), ainsi qu’une aisance à varier styles et techniques. Deux berceuses repousse les fantômes… ou les convoque. Après leur déchiffrage (1939), Marcel Perrin (1912-1996) – l’apôtre du saxophone en Afrique du Nord, comme on le disait à l’époque – admira l’écriture claire, « quoique fouillée », des Variations saxophoniques. Même s’il cultive une certaine redondance, ce cycle de douze fragments a l’avantage de proposer des pages plus enjouées que d’ordinaire. Enfin, Saxofonica di camera et Saxophonie alternent eux aussi les climats – tristesse, nostalgie, recueillement d’un côté ; d’un autre fraicheur, éclat et turbulence proche du swing !
Le pari d’une monographie insolite, sa belle réalisation technique et des interprètes d’une sensibilité à donner le frisson : tout est réuni pour que notre rédaction distingue cette gravure d’une Anaclase!.
LB