Chroniques

par marc develey

Frédéric Chopin
pièces pour piano

1 CD Alpha (2009)
147
Frédéric Chopin | pièces pour piano

Ballades et Nocturnes entrelacés, rarement agencement aussi classique aura trouvé plus touchante et bouleversante réalisation. De ce disque le climat, à strictement parler indéfinissable, oscille entre nostalgie et mystère, vertigineuse exaltation et légèreté rieuse. Ici, le jeu de l'artiste se conjugue aux qualités de l'instrument pour faire de cet enregistrement une incontestable et très recommandable réussite.

Le Pleyel 1836, parfaitement maîtrisé par Arthur Schoonderwoerd, autorise une subtilité d'interprétation qu'on peinerait à retrouver sur des instruments plus récents. La clarté ronde des aigus et le velours des graves se doublent d'une gamme de nuances plus étendue, au moins du pianissimo au forte – les fortississimi, en contrepartie, pouvant être légèrement écrasés, surtout dans les graves. Les résonnances, enfin, peuvent s'y déployer avec plus d'ampleur, les accords tenus ne se saturant jamais de cette disgrâce harmonique qu'on connaît parfois aux Steinway – on en saisit que mieux l'importance accordée par Chopin aux notations de pédales. Certes, la mécanique n'a pas ou plus la souplesse un peu glacée de celle qui équipe les instruments modernes. Pour autant, la touche qu'on entend parfois, la surdité de certaines basses, la corde qui survibre à la retombée des étouffoirs participent toutes encore à la poésie presque surnaturelle du son – un effet spectral, une absence, un lointain ; vent, murmure et eau.

Au Prélude en ut dièse mineur Op.45 liminaire, le velouté des attaques et la souplesse du legato servent une méditation à deux voix – le rubato très présent mais infiniment subtil donnant au chant le temps d'une eau claire écoulée sur le tapis plus sourd des graves. Entrelacées aux Nocturnes de l'Opus 9, les quatre Ballades déroulent l'étonnante variété de leurs paysages au fil d'une musique presque chantonnée : immédiate, simple comme un bonjour, un au revoir, un adieu. Ici, quelques instants rapportés comme autant de souvenirs figés sur lesquels il faudra revenir in concreto. C'est une interprétation qu'il convient d'écouter, intensément. Tout s'y passe dans le temps de l'expression – plus que remémoration ou anticipation.

Les accelerandos de l'Opus 23 en sol mineur sont menés à l'amble d'une pensée qui progressivement s'emballe. Un épisode ironique, et rieur, ramène l'écume du thème – printanier. Ici comme ailleurs, le rubato n'excite pas l'émotion, mais la manifeste. L'Opus 38 en fa majeur est sans doute le moins évidemment réussi de la galette. Peut-être le piano marque-t-il là ses limites. Accords trop marqués, ou basses assourdies dans les fortissimi : quelque chose d'un peu mécanique nous convainc moins, nonobstant la merveille finale de la reprise murmurée du thème.

Comme un grand vin, en revanche, le secret du thème en mineur de l'Opus 47 en la bémol majeur s'ouvre aux accords plus violemment appuyés de basses qui ne se pressent d'élargir leur champ harmonique. Ce sera, plus tard, le bonheur d'un chant apaisé – eau trouvant son lac et son contentement, dans le bleu soudain du ciel inquiétant d'infini. Le jeu est d'une clarté et d'une lisibilité déconcertante, sans aucun étalage analytique, ni sentimental.

L'Opus 52 en fa mineur recueille en leurs intensités propres les splendeurs des trois autres. Le rubato, plus discret à l'exposition, s'affermit par la suite sans pour autant emporter l'auditeur dans le pathos – il s'agit moins de convaincre que de donner l'émotion à entendre. Mains gauche et droite dialoguent sans jamais s'écraser l'une l'autre : accord trouvé entre deux lieux.

Des quatre Nocturnes de l'enregistrement (les trois de l'Opus 9 et l'Opus posthume Browne 49 en ut dièse mineur) on dira peu, laissant l'auditeur se forger son avis. L'écoute nous en a emplis d'une émotion peu courante, et peu commune – notes à la fois claires et rondes, maîtrise éblouissante des mezzo piano, justesse d'un son qui va moins à son terme qu'à sa joie, bienveillance lumineuse, jusqu'à ce point de sublime où, d'évidente, la musique soudainement nous dépasse, et l'on se prend à ne plus rien savoir.

MD