Chroniques

par laurent bergnach

Frédéric Pattar
œuvres variées

1 CD L’Empreinte digitale (2019)
ED 13256
L'Ensemble C Barré joue Frédéric Pattar (né en 1969)

Durant les années quatre-vingt-dix, doté d’un sérieux bagage musical (piano, accompagnement, écriture, électroacoustique), Frédéric Pattar (né en 1969) se forme à la composition, loin de son Dijon natal : d’abord à Lyon, dans la classe de Gilbert Amy, puis à Paris où il suit le Cursus proposé par l’Ircam. Un quart de siècle plus tard, l’élève est devenu un créateur aguerri qui porte une attention particulière à l’articulation entre musique, texte et représentation visuelle, et dont le catalogue compte une centaine d’œuvres, chambristes pour la plupart [lire nos chroniques du 27 novembre 2016 et du 12 janvier 2013].

Inspirées par des poètes, quatre d’entre elles ont été enregistrées par l’Ensemble C Barré, à Marseille, entre novembre 2018 et mars 2019, toutes créées durant la dernière décennie. La plus ancienne se nomme Mind Breaths (Chaillol, 2014) – d’après l’œuvre éponyme d’Allen Ginsberg, comme un cap invisible à l’oreille – et nécessite une douzaine d’instruments dont plusieurs atypiques (cymbalum, accordéon, mandoline, clavier Fender Rhodes, guitare électrique). Durant près de vingt minutes, Pattar y dessine un vrai chemin, en plusieurs périodes. La première, larvaire, a d’abord des allures de rituel, avant d’hybrider part d’animalité (respiration des cordes) et part mécanique (rythmes métalliques). Vents et cuivres entrent alors en scène pour une section plus tonique, à la manière du free jazz, d’où sourd une profusion de timbres. Puis, comme une ville s’efface à la nuit tombante, comme un organisme finit par s’épuiser, arrivent raréfaction et déconstruction.

La pièce suivante est Peephole Metaphysics (Château-Arnoux, 2015), qui inspira son titre à cette monographie discographique. Si la présence d’un bugle et d’un mandoloncelle confirme l’attention portée aux timbres par le compositeur, cet opus se distingue du précédent d’abord par sa construction en cinq parties n’excédant pas deux minutes et demie chacune – et pour cause : il s’agit d’une commande de Radio France pour l’émission Alla breve (2014) –, puis par la présence de Marie-George Monet. Ce sont les mots de la poétesse Lisa Samuels (née à Boston, en 1963), connue pour certaines théories et expérimentations, que livre le mezzo-soprano aux multiples facettes (chant, déclamation, énonciation, etc.), souvent en étroite relation avec un instrument : la percussion relaie la percussivité vocale (listening for you…), le bugle lointain ébauche un duo (a simple feat…), etc. Régulièrement d’autres voix s’élèvent, qui sont celles des instrumentistes.

Sans même parler de son titre, savoir que les mots de Federico García Lorca vont résonner dans la bouche d’un baryton-basse laisse prévoir que les cinq parties de Sangre (Chaillol, 2016) n’auront pas la légèreté de l’opus précédent. Très théâtral (façon panique), silencio y forme une introduction énigmatique, tendue voire rogue. La suite n’est pas plus apaisée. D’abord absent puis lointain au début d’el jardinero inmóvil, le chant de Jean-Manuel Candenot se rapproche [lire nos chroniques du Balcon et de M. W. nach Tristan], favorisant le glissando, sur fond de déploration chorale. Cette portion laisse place à las hierbas, moins violente mais tout aussi inquiétante, avec ses voix spectrales, désincarnées. Presque dansant, El Niño ne rassure pas pour autant, ni le fait d’achever le cycle par une section nommée prologue dans laquelle un narrateur annonce le long voyage qui l’attend, en français, communication contrariée rappelant ces transmissions maritimes ou stellaires hoquetantes, nimbées de parasites. Le fait que la voix se dédouble parfois, qu’elle se superpose, évoque un voyage onirique, un passage dans une autre dimension, comme un adieu fascinant.

Enfin, Au cœur d’une… (achevé en 2019) repose sur trois instruments à cordes pincées (mandoline, guitare, harpe) et sur le poème Kaléidoscope de Paul Verlaine – déjà évocateur de sons par lui-même : « bruits aigres des bals publics », « bruit moiré d’un vol d’abeille », etc. Les différents timbres donnent du relief à ce trio dont l’ajout de voix vient malheureusement banaliser l’effet, peu charismatiques mais assez autoritaires pour chahuter notre propre rêverie. C’est décevant, mais pas au point de gâcher le souvenir de l’heure musicale qui précédait, somptueuse, sous la direction musicale et artistique de Sébastien Boin.

LB