Chroniques

par hervé könig

François Couperin
œuvres avec clavecin

1 CD Assai (2003)
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François Couperin | œuvres avec clavecin

Il Rittratto del Amore (Le Portrait de l'Amour) est le nom du neuvième concert des Goûts Réunis que François Couperin (1668-1733) publia en 1724. Ce morceau, l'un des principaux de ce disque, nous en dit beaucoup sur son auteur...

Premièrement, l'utilisation de l'italien témoigne de son goût pour la musique de ce pays et de l'admiration qu'il portait à Corelli, son contemporain auquel il rendit hommage dans Le Parnasse ou l'Apothéose de Corelli (1725). Le ton utilisé, mi majeur, est celui que les compositeurs italiens (et dans leur sillage, Händel en particulier) choisirent pour sa sensualité. Couperin confie, dans sa préface aux Goûts Réunis, l'enchantement que furent pour lui la découverte des « premiéres Sonades italiénes qui parurent à Paris ». La sonateLa Superbe s'en inspire – composée dans sa jeunesse, vers 1690-1695 –, mais combinée aux grâces de notre tradition ; ainsi, l'introduction se fait sur basse à l'italienne mais les mouvements vifs de la fin sont interrompus par un air de style français. L'habituelle Sonata da chiesa italienne, dont les mouvements s'enchaînaient sans interruption, sera importée en France par Couperin vers 1725 précisément, d'abord en y greffant les procédés de la Suite de Danses et de l'Ouverture Française, puis en réussissant un savant alliage où les origines ne se peuvent plus reconnaître, inventant ainsi une forme nouvelle et personnelle.

Deuxièmement, le titre nous indique la place qu'accorde Couperin – dans son œuvre, en tous cas – à l'Amour. Son Portrait a de multiples facettes et ce sont Le Charme, Les Grâces, La Douceur qui en composent la vaste palette. On poursuit une sorte d'exploration des divers lieux du sentiment d'amour dans de courtes pièces de cette production : Le Dodo ou l'Amour au Berceau, La Séduisante, etc., mais jamais de façon monotone ou monolithique. Il lui insuffle une tendre ironie (L'Évaporée), une certaine tristesse (La Garnier, épouse de son collègue Gabriel, à la Chapelle Royale) ou encore une flatteuse mélancolie (La Muse-Plantine). Finalement, il témoigne dans sa musique de l'engouement de l'époque pour les portraits (La Bruyère et ses Caractères) et la littérature galante (La Princesse de Clèves, en premier lieu). Le compositeur saura ainsi créer une imaginaire galerie de portraits d'une poésie inégalée dont chaque titre nous dit tout sans nous rien dire, suggérant à l'interprète ce que l'interprète voudra bien y voir, et ainsi de suite. N'y aurait-il pas là prémices des phrases-titres que Debussy allait écrire à la fin de chacun de ses préludes, par exemple ?

Au clavecin, Aline Zylberajch propose une interprétation tendre et parfois contemplative de pièces alternant les caractères, sachant effleurer un brin de licence, le plaisir d'une complaisante mélancolie, l'indolence d'un enthousiasme artificiellement entretenu, etc. Pas de gravité, mais pas plus de cette indolente légèreté qu'on a souvent associée à la musique de Couperin. Le Parlement de Musique et Martin Gester articulent les différents traits de cette promenade en barque sur le Lac d'Amour avec un raffinement sans affectation et d'une élégance infinie.

Avec Les Folies Françaises, Couperin évoque presque obstinément le thème amoureux. Il écrit ici son unique ensemble de variations en associant expression de l'amour et couleur de domino : rose pour la Pudeur, bleu pour la Fidélité, violet pour la Langueur... Là encore, si on retrouve l'amour, il a plusieurs visages (ne sommes-nous pas au carnaval?) et peut nous entraîner de l'espérance à la frénésie du désespoir, sans nous épargner la jalousie.

L'instrument joué par Aline Zylberajch est un Andreas Ruckers (Anvers, 1646) qui traversa les siècles, et se trouva à plusieurs reprises transformé afin de répondre à l'évolution des goûts musicaux, sans jamais perdre la belle sonorité flamande qui lui confère une personnalité bien particulière. Il est conservé dans la collection du Musée de la Musique, et fut d'ailleurs joué il y a deux ans par cette artiste lors de la fascinante Intégrale des vingt-sept Ordres donnée à la Cité de la musique.

Avec ce Rittratto dell'Amore, le label Assai signe une très intéressante réalisation qu'on ne se lasse pas de réécouter, découvrant à chaque approche la richesse inépuisable de l'œuvre.

HK