Chroniques

par laurent bergnach

Francesco Cavalli
Il Giasone | Jason

2 DVD Dynamic (2012)
33663
Francesco Cavalli | Il Giasone

Fils du compositeur et organiste Giovanni Battista Caletti-Bruni (v.1560-1622), Francesco Cavalli (1602-1676) naît dans une Lombardie soumise à la domination de Venise. En 1616, le podestat de cette dernière, Federigo Cavalli, remarque l’adolescent alors puer cantor de la cathédrale de Crema (sa ville natale), et l’invite à rejoindre les effectifs de Saint-Marc. Grâce à cette opportunité, le jeune Francesco rencontre Monteverdi et poursuit sa carrière en jouant l’orgue de la Basilique Saints-Jean-et-Paul. En 1639, au Teatro San Cassiano – premier théâtre ouvert au public, inauguré deux ans plus tôt avec L'Andromeda de Francesco Manelli, sur un livret de Benedetto Ferrari –, il fait représenter son premier opéra, Le nozze di Teti e di Peleo, en choisissant le nom de Cavalli, en hommage à son ancien protecteur. Dès lors, sa vie se partage entre son activité de second organiste à Saint-Marc et la production d’opéras – dont La Didone (1641), récemment entendu à Paris [lire notre chronique du 12 avril 2012], ou le célèbre Ercole amante (1662), froidement accueilli par ce même public [lire notre critique du DVD], mais encore Egisto (1643) [lire notre chronique du 1er février 2012], L’Ormindo (1644) [lire notre chronique du 3 mai 2007] et La Calisto (1951) [lire nos chroniques du 17 avril 2010 et du 5 mai 2010].

Entre 1640 et 1660, s’appuyant sur un nombre limité de librettistes talentueux – dans le cas présent, le Florentin Giacinto Andrea Cicognini, qui s’inspire des Argonautiques d'Apollonius Rhodius avec beaucoup de sensualité –, Cavalli règne sur le cœur des Vénitiens. Lorsqu’il est présenté dans le théâtre évoqué plus haut, le 5 janvier 1649, Il Giasone remporte un succès qui ne fait que s’amplifier puisque avec ses dix-huit représentations dans la Sérénissime et vingt-quatre productions recensées jusqu’en 1681, l’ouvrage devient l’opéra italien le plus joué au XVIIe siècle.

Les grands traits de l’histoire sont connus. Après avoir séduit Isifile (Hypsipyle) et lui avoir donné deux jumeaux, Giasone quitte l’île de Lemnos avec les Argonautes pour conquérir la Toison d’Or en Colchide. La reine abandonnée envoie Oreste à la recherche de Giasone, lequel s’est attaché à Medea, déjà courtisée par Egeo (Égée). Durant trois actes précédés d’un prologue, on croise également des divinités – Giove (Jupiter), Sole (Apollon), Amore (Cupidon), etc. –, le demi-dieu Ercole (Hercule) et des personnages vecteurs d’épisodes comiques, tels Demo, le bossu bègue, ou Delfa, la vieille nourrice. Egeo puis Isifile finissent par retrouver l’élu(e) de leur cœur, après quantité de péripéties que la metteuse en scène Mariame Clément dépeint avec finesse, dans un décor mi-sauvage mi-industriel, accumulant des éléments hétéroclites qui s’équilibrent à notre grand étonnement, et avec un humour discret (sèche-cheveux en guise d’arme, etc.).

Enregistrés au Vlaamse Opera de Gand (Opéra des Flandres) en mai 2010, les chanteurs magnifient une œuvre qui mérite l’attention. Récent Tolomeo [lire nos chroniques du 23 janvier 2011 et du 23 août 2012], le contre-ténor Christophe Dumaux est un rôle-titre efficace entouré par l’onctueuse Robin Johannsen (Isifile), incroyable de précision, et Katarina Bradić (Medea), dont le chant maniéré et miauleur, à l’impact douteux, déçoit tout d’abord, mais seulement hors des récitatifs et scènes de fureur qui nécessitent une expression franche (méforme au début de la captation, sans doute…). De même que l’excellent Josef Wagner (Giove/Besso), nous apprécions Andrew Ashwin (Ercole/Oreste), baryton sonore et nuancé, Emilio Pons (Egeo/Sole), qui allie présence, clarté et fraîcheur, ainsi qu’Angélique Noldus (Amore/Alinda), mezzo ferme et stable qu’on put entendre en France dans Faust et Carmen. Enfin, Yanuv d’Or (Delfa/Eolo) et Filippo Adami, Demo à l’expressivité presque populaire, tiennent leur personnages buffo sans condescendance ni clin d’œil vulgaire.

À la tête d’un orchestre maison aux vents très colorés, nous retrouvons l’excellent Federico Maria Sardelli qui, comme le souligne le compositeur et arrangeur Alexander Krampe dans la notice du DVD, « est intervenu dans la composition de l’ouvrage non seulement pour le réduire en fonction des exigences de notre époque, mais aussi pour composer un grand nombre d’interludes orchestraux, de symphonies et de refrains ». La direction du maestro, carrée et souple à la fois, achève de rendre précieux ce premier enregistrement mondial.

LB