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Chroniques
Francis Poulenc
mélodies
On se souvient de Sophie Karthäuser, considérée comme une vraie révélation dans la musique baroque avec Händel, Cavalli et Grétry, mais surtout dans Mozart. Aux côtés des plus grands interprètes, ses incarnations de Pamina, Susanna, Ilia, Zerlina ou Despina, lui valurent la reconnaissance du public et de la critique. Cette élève d’Elisabeth Schwarzkopf ne dédaigne pas pour autant les répertoires romantiques (Berlioz, Weber, etc.) et contemporains.
Le soprano belge au timbre frais et léger livre aujourd’hui sa vision d’un recueil de mélodies de Francis Poulenc, enregistrées en juin 2013, pour commémorer le cinquantenaire du grand musicien disparu la même année que Cocteau, Piaf et Kennedy. Avec son complice le pianiste américain Eugene Asti – il accompagne par ailleurs les meilleures voix, telles Felicity Lott, Thomas Allen ou Willard White –, elle a sélectionné trente-sept des cent soixante-dix mélodies qui ponctuent toute la vie du compositeur. Depuis plusieurs années, ce pianiste est un partenaire attentionné et délicat qui épouse toutes les intentions de la chanteuse, mais sait aussi la guider.
On sait l’importance que Poulenc accordait à ses mélodies et chansons, qu’elles soient soutenues par le piano ou par l’orchestre, au point d’en faire un Journal de mes mélodies. Elles jalonnent toute son œuvre, en résonnance avec ses plus grands opus. « Prima la musica, poi le parole ? » s’interrogeaient Salieri dans l’opéra éponyme, et Strauss dans Capriccio. Jamais Poulenc ne privilégiera sa musique au détriment du texte. Sa créativité accompagne les poèmes sans être envahissante et en trahir jamais le message. Cocteau notait « la particularité de Poulenc, c'est de mettre le texte en évidence [...]. On se demande si le texte ainsi chanté n'est pas la seule forme possible de déclamation d'un poème ».
Sophie Karthäuser donne donc priorité à ces grands poètes qui furent souvent amis du musicien, à commencer par Paul Éluard [lire notre critique du CD], Louise de Villemorin, sans oublier Guillaume Apollinaire et Louis Aragon, à travers des cycles fameux et des pages isolées, souvent gravées au disque. Succédant à des modèles comme Mady Mesplé (EMI), Felicity Lott ou Catherine Dubosc (Decca), sa voix y fait merveille.
Ici, c’est plus le moine Poulenc que son double voyou qui est mis à contribution, plus souvent par ses Carmélites et sa Voix humaine que ses Mamelles de Tirésias, même dans Fiançailles pour rire où notre diva semble d’ailleurs moins à l’aise, comme intimidée. La courte paille, l’autre grand cycle de ce florilège, est mieux servi par une idéale palette de couleurs.
La mélodie Les anges musiciens donne son titre à cet album. Mais c’est le cycle fort sombre Tel jour telle nuit (Éluard) qui emporte tous les suffrages. Il semble avoir demandé un travail très approfondi de la part de la chanteuse et de son accompagnateur, d’après l’entretien donné à la sortie de son disque. Sans rivaliser avec la version historique de Pierre Bernac, créateur de l’œuvre (et accompagné par Poulenc lui-même), elle en donne cependant une lecture rajeunie et moins austère, grâce aussi au talent d’Eugene Asti. Dommage qu’à la différence de son aîné, l’articulation laisse à désirer, défaut majeur de ce disque (ce que les r roulés n’aident en rien…)
Les autres mélodies vont du très connu – C, Montparnasse, Voyage à Paris, Bleuet, Fancy – au quasiment inédit : la très jolie Vocalise-Étude sans parole où le soprano fait florès. Un must à redécouvrir absolument ! Dommage qu’en toutes ces pages qui si bien conviennent à sa voix, l’artiste néglige tant l’élocution et ne s’implique pas plus à camper les différents personnages imaginés par Poulenc et ses amis. Où est donc passée la gouaille mélancolique tant attendue dans Les chemins de l’amour, ce tube intemporel immortalisé par la reine de l’opérette, Yvonne Printemps ?
MS